Edité par Luc MICHEL
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2023 11 08/

Le gouvernement a décidé cette semaine de commencer des fouilles archéologiques dans la commune de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, pour tenter d’y localiser un probable cimetière harki perdu. En parallèle, deux historiens viennent de proposer la création d’un musée des colonisations. C’est l’occasion de nous pencher sur la question de la mémoire coloniale de la France.

« LE PASSE COLONIAL EST LE DERNIER TABOU DE L’HISTOIRE DE FRANCE DES XIXE ET XXE SIECLES »

Voilà le titre de la tribune publiée dans le journal Le Monde par les historiens Nicolas Bancel et Pascal Blanchard. Ils y plaident pour la création d’un musée des colonisations, tel qu’il en existe déjà dans de nombreux pays européens.

Et en effet, nous avons en France un musée des arts premiers, le Quai Branly. Nous avons un musée de l’immigration, le Palais de la Porte Dorée – où s’était pourtant tenu l’exposition coloniale de 1931, et son tristement célèbre zoo humain. Mais nous n’avons pas le moindre musée dédié spécifiquement aux colonisations, alors même que la France a été l’une des principales puissances coloniales de l’histoire.

Un tel musée permettrait enfin, sur la question coloniale, de créer un pont entre l’histoire et la mémoire. L’histoire du fait colonial est aujourd’hui bien établie. La période est étudiée par les historiennes et les historiens. Elle est enseignée au lycée – insuffisamment, peut-être, mais davantage aujourd’hui qu’hier.

La mémoire des colonisations, en revanche : voilà où se trouve le tabou. La mémoire, ce n’est pas la connaissance de l’histoire. La mémoire, c’est ce que nous choisissons, collectivement, de faire de notre histoire.

Un musée des colonisations serait justement le lieu pour assumer ce passé qui imprègne tant le présent. Pour le reconnaître dans ce qu’il a, tout à la fois, de dramatique et de complexe. Pour permettre une coexistence de tous les récits : le récit des descendants de colonisés issus de toutes les immigrations, celui des appelés du contingent, des ultramarins, mais aussi des harkis et des pieds-noirs. Et peut-être, enfin, bâtir une mémoire commune.

SUR LES COLONISATIONS, NOTRE MEMOIRE EST UNE CHAPE DE PLOMB
Il faut voir d’où nous partons : le président Sarkozy fustigeait la « repentance », et avait fait voter une loi pour qu’on insiste, dans les programmes scolaires, sur le « rôle positif de la colonisation ».

C’est vrai qu’il y a eu quelques avancées sous la présidence d’Emmanuel Macron, notamment la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans la mort de Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française à Alger, en 1957.

Mais cela reste pour le moins timide. Alors qu’en février 2017, durant sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait parlé de la colonisation comme d’un crime contre l’humanité. Quoi que l’on pense de ce qualificatif, c’était, au moins, une manière d’ouvrir le débat. Le candidat Macron avait, à l’époque, fait marche arrière.

Le président Macron, depuis, n’a jamais osé rouvrir frontalement ce dossier. Pire : il vient d’inaugurer, à Villers-Cotterêts, la Cité internationale de la langue française. À cette occasion, il a prononcé la phrase suivante : « Tous les grands discours de décolonisation n’ont-il pas été pensés, écrits et dits en français ? »
D’accord, mais tous les autres ? Ceux qui ont été pensés, écrits et dits en arabe, en indonésien, en shikomori, en anglais ?

C’EST LA DEFINITION D’UN TABOU, SINON MEME D’UN DENI COLONIAL !

Cette question est cruciale. La question coloniale affleure, aujourd’hui, derrière une grande partie des tensions qui divise notre société. Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, les deux historiens auteurs de la tribune, rappellent par exemple que les discriminations subies par les Français issus de l’immigration – discriminations étayées par de nombreuses études, notamment celles du Défenseur des droits – découlent directement de représentations construites dans et par la colonisation.

LA QUESTION DE LA COLONISATION DANS LE CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN

On pourrait même aller plus loin, en élargissant cette réflexion au conflit israélo-palestinien : qu’est-ce qui explique que la question palestinienne soit, en France, si sensible pour les hommes et les femmes issues de la colonisation ?

C’est ça la question ! Le moment que nous vivons est marqué par l’attentat du Hamas. Il est également marqué par la réplique israélienne, qui fait en ce moment même des milliers de morts à Gaza, là aussi des civils, dont de nombreux enfants.

Partout dans le monde, des hommes et des femmes épris de paix appellent au cessez-le-feu, et espèrent un retour à la normalité.

Mais qu’est-ce que c’est, exactement, que la normalité des relations israélo-palestiniennes ? De nombreux chercheurs spécialistes des relations Internationales l’ont rappelé ces dernières semaines – notamment Bertrand Badie ou Beligh Nabli : la normalité, c’est la colonisation, par Israël, des terres palestiniennes. Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS, rappelle qu’aujourd’hui, plus de 600 000 Israéliens sont installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, en pleine violation du droit international. L’ONU a voté 11 résolutions condamnant Israël pour occupation illégale et atteintes aux populations civiles.

Sans doute serait-il temps que la communauté internationale ouvre les yeux sur les réalités d’une colonisation qui se conjugue au présent, et qui se répercute dans notre débat national. Sans doute, aussi, serait-il temps, pour la France, d’oser enfin regarder en face son passé colonial.


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