2021 01 07
* La Familia grande,
de Camille Kouchner,
Seuil, janvier 2021
La Familia grande n’est pas seulement l’histoire d’un inceste. Elle n’est pas seulement l’histoire d’un secret, d’un mensonge, d’une omerta. Le récit de Camille Kouchner à paraître jeudi aux éditions du Seuil raconte tout cela, mais le malaise qu’il provoque est plus profond, et autrement plus diffus.
REVUE DE PRESSE :
« LA FAMILIA GRANDE » : LES COULISSES DE L’INCESTE
(LE POINT 06 01 20201)
Extraits : « Le fond de l’affaire est désormais connu. Le très influent Olivier Duhamel, politiste et ex-président de la Fondation nationale des sciences politiques (il en a démissionné lundi, dans la foulée des révélations), aurait abusé de son beau-fils, « Victor » Kouchner, le frère jumeau de l’autrice alors adolescent – elle a modifié son prénom. « Victor » et Camille sont les enfants de Bernard Kouchner et d’Évelyne Pisier, universitaire, écrivaine et sœur de l’actrice Marie-France Pisier. Les faits ont lieu à la fin des années 1980, alors qu’Évelyne Pisier sombre dans l’alcoolisme et la dépression après les suicides, coup sur coup, de ses deux parents. Camille Kouchner raconte cela, donc, et le « serpent » de la culpabilité qui, au fil des années, grossit, l’envahit, devient une « hydre » à cent têtes. Elle sait, son frère s’est très tôt confié à elle. Elle sait, mais elle se tait et, en se taisant, donne une manière de « consentement » au crime, en devient la complice.
« En ne désignant pas ce qui arrivait, j’ai participé à l’inceste, écrit-elle. Pire, j’y ai adhéré. » Olivier Duhamel ne vient-il pas dans sa chambre à elle, la « chambre-péage », après avoir rejoint son jumeau dans la sienne ? « Mon beau-père entrait dans ma chambre et, sans doute pour me faire taire, s’asseyait sur mon lit. Il me disait : “Tu as mis une culotte ? Tu sais que je ne veux pas que tu mettes de culotte pour dormir. C’est sale. Ça doit respirer.” Il me disait : “Tu sais, pour ta mère, chaque jour est une victoire. Chaque jour est un jour de gagné. Laissez-moi faire. On va y arriver.” Il entrait dans ma chambre, et par sa tendresse et notre intimité, par la confiance que j’avais pour lui, tout doucement, sans violence, en moi, enracinait le silence. »
Il faut que le frère et la sœur, comme leur aîné, deviennent adultes, fondent eux-mêmes une famille, tremblent pour leurs propres enfants, pour qu’éclate la gangue des non-dits (…)
Alertée, Évelyne Pisier n’adopte pas une posture de déni. Elle fait pire, si l’on en croit le récit de Camille Kouchner : elle renverse les responsabilités, incrimine son fils et sa fille. « Si tu avais parlé, j’aurais pu m’en aller. Ton silence, c’est ta responsabilité. Si tu avais parlé, rien de tout cela ne serait arrivé. » Elle ajoutait : « Il n’y a pas eu de violence. Ton frère n’a jamais été forcé. Mon mari n’a rien fait. C’est ton frère qui m’a trompée. » La tante, Marie-France Pisier, exhorte sa sœur à quitter son époux, à parler. Sa mort en 2011, dans des circonstances troubles, voit s’effondrer le dernier rempart de la fratrie. La « familia grande », elle, cette bande d’intellectuels et de politiques de gauche qui gravite depuis des années autour du couple Pisier-Duhamel et qui, chaque été, est invitée dans leur grande propriété à Sanary, dans le Var, se tait et s’éloigne. Ce n’est qu’à la mort de leur mère que les enfants envisagent une plainte – pour apprendre que les faits sont prescrits (…) »
LES DEREIVES DE LA GAUCHE LIVERAIRE
Extrait 2 : « En écrivant, Camille Kouchner tâche de s’affranchir du secret et du silence. Mais, au-delà de l’inceste, elle décrit un monde de vérités alternatives et d’injonctions contradictoires, un milieu qui se contemple lui-même, qui se regarde vivre, qui admire très complaisamment son impertinence supposée et sa prétendue liberté. Une « familia grande », une famille élargie qui n’en est pas une. Une vie artiste et affranchie des conventions bourgeoises, mais dans une double villa avec piscine où prolifèrent les nounous, les cuisinières, les gens de maison. Une communauté féministe, mais dont une jeune femme est bannie pour avoir déposé une main courante après avoir été agressée par un invité pendant son sommeil – quelle « vulgarité »… Un monde où la liberté sexuelle s’apprend à marche forcée : on envoie une femme mûre à l’aîné pour le déniaiser, on s’indigne de ce qu’à douze ou treize ans la cadette soit encore vierge. Camille Kouchner doit mimer devant la « familia » un acte sexuel alors qu’elle est à peine pubère, on l’incite à masser et caresser les adultes ; la photographie de ses fesses, prise par son beau-père, est affichée en grand sur les murs de Sanary.
« Sois libre », donc. Mais sois libre à notre façon : les enfants sont moqués si leurs goûts les dirigent vers où leur âge, leur pudeur, leur milieu même les portent. Camille, jeune fille de la grande bourgeoisie, élève à Henri-IV, veut suivre des cours de piano ? On le tolère, mais on le tourne en dérision. « Tout est dit, rien n’est expliqué », répète-t-elle. Il faut admettre tout et tout comprendre, fuir comme la peste les jugements moraux, ne jamais manifester de chagrin ni de trouble. Lorsque les grands-parents se suicident. Lorsque la mère se sépare du père, Bernard Kouchner, et que celui-ci entre de plain-pied dans un monde de pouvoir et d’image avec sa nouvelle épouse, Christine Ockrent. Lorsque les soirées de Sanary prennent une mauvaise tournure. Lorsqu’Olivier Duhamel devient maître en son royaume.
EST-CE LE PROCÈS D’UNE ÉPOQUE, COMME ON L’A TANT ENTENDU LORSQU’EST PARU EN JANVIER 2020 LE CONSENTEMENT DE VANESSA SPRINGORA ?
Un peu court. « Certains diront que tu fais partie de cette “génération”-là. Moi, je crois surtout que tu fais partie de ces “gens”-là », écrit Camille Kouchner en s’adressant à sa mère. Face à ces « gens-là », le propos est par endroits ambivalent, le récit tiraillé entre la colère, le besoin du dévoilement, et une fascination durable pour l’audace, la fantaisie, la liberté des grandes figures de ce petit milieu – et le départ peine parfois à se faire entre ce qu’il est légitime d’admirer et ce qu’il est nécessaire de condamner. On peut l’entendre, évidemment. Mais on en sort étourdi.
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