Revue de Presse/ 2019 09 30/
Avec AFP – Le Point/
Il est le premier ministre français de la Justice condamné par la Cour de justice de la République: Jean-Jacques Urvoas a été condamné lundi à un mois de prison avec sursis et 5.000 euros d’amende pour « violation du secret professionnel ».
L’accusation avait requis un an de prison avec sursis contre M. Urvoas, 60 ans, pour avoir transmis au député Thierry Solère des éléments de l’enquête qui le visait. L’ancien ministre et parlementaire, unanimement apprécié mais dont l’image de rigueur a été abîmée par cette affaire, a écouté sans ciller les motivations de la Cour, qui a suivi en tout point le raisonnement du procureur général François Molins. « Si le ministre de la Justice n’est plus tenu au secret de l’enquête et de l’instruction », en ce qu’il n’y concourt pas, « il n’en n’est pas moins tenu au respect du secret qu’impose la nature des informations qui lui sont transmises, en raison de sa fonction », affirme la CJR dans ses motivations, lues à l’audience.
L’ANCIEN MINISTRE SOCIALISTE ÉTAIT JUGÉ POUR AVOIR TRANSMIS LES 4 ET 5 MAI 2017 AU DÉPUTÉ LR (DEVENU LREM) THIERRY SOLÈRE DES ÉLÉMENTS DE L’ENQUÊTE QUI LE VISAIT POUR FRAUDE FISCALE ET TRAFIC D’INFLUENCE, VIA LA MESSAGERIE CRYPTÉE TELEGRAM.
Jean-Jacques Urvoas n’a jamais nié la matérialité des faits, mais contestait que les documents transmis soient couverts par un quelconque secret. Au contraire, la CJR estime que les éléments d’enquête ne perdent pas leur caractère secret « du seul fait que ces informations ont été reformulées » par les services du ministère. Elle relève par ailleurs que les fiches transmises au ministre concernant Thierry Solère étaient précises, « tant sur les faits … que sur les qualifications pénales susceptibles d’être retenues ».
Jean-Jacques Urvoas était le huitième ministre à comparaître devant la CJR, une juridiction controversée, seule habilitée à juger des actes commis par des membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Les décisions de la CJR, juridiction mi-politique mi judiciaire, composée de douze parlementaires et trois magistrats, ne sont pas susceptibles d’appel. Toutefois, M. Urvoas a cinq jours pour former un éventuel pourvoi en cassation.
LOIN DE L' »INTÉRÊT GÉNÉRAL »
Avant Jean-Jacques Urvoas, sur les sept personnes jugées par la CJR depuis 1999, trois ont été relaxées, deux condamnées à des peines de sursis et deux ont été déclarées coupables mais dispensées de peine, dont la dernière en date est l’ancienne patronne du FMI Christine Lagarde.
Le procureur général avait mis en garde contre une relaxe qui « signerait la fin du ministère public à la française », car « s’il n’y a plus de secret partagé, il n’y plus de confiance », condition indispensable à toute « remontée d’informations » entre les parquets et le garde des Sceaux, au sommet de la chaîne hiérarchique. Le débat, âpre, avait dû s’accommoder d’une série de paradoxes: de l’étrangeté pour un ex-ministre d’être jugé par une cour qu’il avait voulu supprimer, du confort d’être interrogé par ses pairs parlementaires – ici juges -, de la blessure d’être accusé de « trahison » par des magistrats qu’il a défendus avec constance pendant son mandat. A l’audience, l’ex-ministre avait constamment mis en avant son bilan, affirmant qu’aucun texte ne venait entraver sa liberté de parole politique, au « service de l’intérêt général ». Un argument balayé par la CJR: « Un tel motif d’intérêt général justifiant la gravité de l’atteinte portée au secret n’est pas établi », affirme-t-elle, relevant que M. Urvoas, en « juriste expérimenté », « ne pouvait ignorer » qu’il violait « le secret auquel il était tenu en raison de sa fonction ».
En revanche, la CJR a justifié sa clémence, relativement aux réquisitions, par deux points: d’une part le fait que la divulgation des éléments d’enquête n’avait « pas eu d’effet sur le déroulement des investigations ». Et d’autre part, le fait que les débats n’avaient « pas permis de connaître l’objectif réellement poursuivi par M. Urvoas en communiquant ces informations » à Thierry Solère, un adversaire politique, entre les deux tours d’une présidentielle qui allait bouleverser le paysage politique français. L’accusation estimait que le ministre, en difficulté pour sa réélection dans sa circonscription, avait voulu « ménager un autre homme politique », tandis que Jean-Jacques Urvoas s’était cramponné à sa version de « l’intérêt général », sans convaincre.
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