LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/
2018 09 22/

Voici la suite de mon analyse TERRE ET MER AU XXIe SIÈCLE …
Je viens de traiter pour AFRIQUE MEDIA et EODE-TV une longue analyse video de 45 minutes(dont une partie a été diffusée sur la TV panafricaine), où je rappelle ces fondamentaux et de façon prospective, prévisionnelle, pourquoi ils vont déterminer le XXIe siècle. Commencez par visionner la seconde partie de cette video :

* Voir sur EODE-TV/
LUC MICHEL: TERRE & MER AU XXIe SIÈCLE (II).
COMMENT LES FONDEMENTS DE LA GEOPOLITIQUE VONT DETERMINER LE XXIe SIECLE
Sur https://vimeo.com/290233798

# III-
MAHAN – SPYKMAN – HAUSHOFER – THIRIART – BRZEZINSKI – VON LOHAUSEN : LES GEOPOLITICIENS DE « LA TERRE VS LA MER »

La Géopolitique, conçue comme Science (suivant les thèses du général Haushofer, le théoricien des « Blocs continentaux »), utilise évidemment des concepts et des grilles d’analyse à valeur universelle. Ce qui est particulier c’est la façon dont la Géopolitique est vue par chacun de ses acteurs ou de ses théoriciens. Visions particulières qui sous-tendent des façon d’envisager le monde et son organisation. Lorsque cette vision s’appuie sur un projet idéologique, nous parlons alors de Géoidéologie (comme le Néoeurasisme ou le Néopanafricanisme).

Venus de camps opposés, radicalement ennemis, tous ces géopoliticiens sont pourtant les concepteurs de la « Géopolitique de la Terre contre la Mer » : l’amiral britannique MACKINDER, les américains MAHAN – SPYKMAN – BRZEZINSKI (la naissance de la Géopolitique est tout autant américaine qu’allemande), le général allemand HAUSHOFER et les européens Jean THIRIART et son disciple le général autrichien Jordis VON LOHAUSEN

LE FONDATEUR DE LA GEOPOLITIQUE CLASSIQUE :
L’AMIRAL BRITANNIQUE H.J. MACKINDER (1861-1947)

L’amiral britannique H.J. Mackinder (1861-1947), qui fut professeur de géographie à Oxford puis à la London School of Economics and Political Science, est le fondateur de la Géopolitique classique, celle qui oppose la terre et la mer. Il est connu notamment pour être l’auteur de la théorie selon laquelle il existerait au début du XXème siècle un « pivot géographique du monde », le cœur du monde (heartland) protégé par des obstacles naturels (le croissant intérieur, inner crescent, composé de la Sibérie, du désert de Gobi, du Tibet, de l’Himalaya) et entouré par les océans et les terres littorales (coastlands).
Ce cœur du monde, c’est la Russie, la Russie qui est inaccessible à la puissance maritime qu’est la Grande-Bretagne. C’est pourquoi le cœur du monde doit être encerclé par les alliés terrestres de la Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne doit contrôler les mers mais également les terres littorales qui encerclent la Russie, c’est à dire l’Europe de l’Ouest, le Moyen-Orient, l’Asie du sud et de l’Est. La Grande-Bretagne elle-même, avec les Etats-Unis et le Japon, constituent le dernier cercle qui entoure le cœur du monde.

Selon Mackinder ce qu’il faut absolument éviter c’est l’union de la Russie et de l’Allemagne, un concept que Thiriart modernisera en « Empire euro-soviétique », la constitution de ce que Mackinder appelle « l’île mondiale » (world island), un puissant Etat ayant d’immenses ressources et de vastes étendues terrestres, ce qui permettrait à la fois d’avoir de grandes capacités territoriales de défense et de construire une flotte qui mettrait en péril l’Empire britannique.

AUX SOURCES DE LE THALASSOCRATIE AMERICAINE (1) :
L’AMIRAL ALFRED T. MAHAN (1840-1914)

Le premier grand théoricien de la vision impérialiste US qui vise à la domination mondiale est l’amiral Alfred T. Mahan, dont le livre principal « The influence of sea power upon history » est publié à Boston en 1890. Alfred T. Mahan (1840-1914) a construit une géopolitique destinée à justifier l’expansionnisme mondial des Etats-Unis à une époque où le monde est encore dominé par la Grande-Bretagne, un expansionnisme qui doit se fonder sur la puissance maritime (« sea power »). Mahan est convaincu que les Etats-Unis, puissance industrielle contrôlant les Amériques, peuvent, en imitant la stratégie maritime qui fut celle de l’Angleterre à partir du XVIème siècle, obtenir la domination mondiale grâce à la maîtrise des mers. Il leur faut pour cela non seulement des bases, des ports, mais surtout des bâtiments, des navires, qui soient en permanence capables d’intervenir partout dans le monde, et donc constamment opérationnels. Donc, en 1897, Mahan préconise la politique stratégique suivante : il faut s’allier à la Grande-Bretagne pour contrôler les mers, il faut maintenir l’Allemagne sur le continent européen et s’opposer à son développement maritime et colonial, il faut associer les Américains et les Européens pour combattre les ambitions des asiatiques et en particulier surveiller de près le développement du Japon.

Tous les grands thèmes du « grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski sont déjà présents : stratégie planétaire, intervention en Europe, isolement de la puissance continentale (alors l’Allemagne). Mahan donne un corps idéologique à la vision américaine d’une mission prédestinée des USA dans le monde : la « manifest destiny ».

AUX SOURCES DE LE THALASSOCRATIE AMERICAINE (2) :
NICHOLAS J. SPYKMAN (1893-1943)

Son oeuvre est continuée par Nicholas J. Spykman (1893-1943), qui développe la notion de « containment », consistant à organiser un système d’états-tampons destiné à briser la puissance russe. Après la victoire sur l’Allemagne il faut donc contrôler ces Etats tampons qui constituent le rimland, le pivot (une notion centrale de cette géopolitique), si l’on veut contrôler le cœur du monde. Cette nécessité conduira à la mise en place d’une politique d’endiguement (containment) de par la constitution de l’Alliance atlantique dominée par les Etats-Unis, face au Pacte de Varsovie, dominé par la Russie soviétique. Notez que tout cela est pensé en 1941 et 42 – Spykman meurt en 1943 – c’est-à-dire au moment même ou l’URSS fait face aux armées nazies. Le discipline de Spykman est Georges F. Kennan, le principal théoricien américain de la guerre froide, auteur de « The sources of soviet conduct ».

AUX SOURCES DE LE THALASSOCRATIE AMERICAINE (3) :
JAMES BURNHAM (1905-1987)

Le plus brutal théoricien de l’impérialisme américain est James Burnham. Moins connu en dehors des spécialistes des sciences politiques (c’est le père des néo-machiavéliens américains), c’est un ancien trotskyste reconverti dans le néo-conservatisme et l’ancêtre idéologique des néoconservateurs de Bush II, les neocons). Il fonde notamment la « National Review ». En 1945, il publie un livre fondamental mais passé inaperçu en Europe dont le titre anglais est « The Struggle for the World ». Le titre de l’édition française (1947) est lui plus explicite encore : c’est « Pour la domination mondiale ». Burnham y donne les conditions de la puissance destinée à assurer la domination planétaire des Etats-Unis.

LA GEOPOLITIQUE US A L’HEURE DE LA SUPERPUISSANCE (1) :
LE « NOUVEL ORDRE MONDIAL » (1991)

La victoire américaine de 1991, qui est largement surestimée dans les cercles conservateurs qui entourent le président Bush I, va donner lieu à une nouvelle théorisation de l’impérialisme yankee. Les proches conseillers de Bush en donnent immédiatement une nouvelle définition : c’est le « Nouvel Ordre Mondial » au nom duquel les USA reçoivent la mission de « pacifier » le monde et d’y imposer les pseudo-valeurs du « libre commerce ». Les principaux théoriciens de l’impérialisme américain à l’aube du XXIeme siècle sont Francis Fukuyama, Samuel P. Huntington et Zbigniew Brzezinski. Leurs théories, médiatisées par leurs livres et leurs articles dans les grandes revues américaines de politique internationale, prennent place dans un ensemble de recherches et d’activités liées directement au Pentagone et au State Department. En apparence, elles présentent des contradictions entre elles mais celles-ci ne sont qu’apparentes. Elles sont en effet plus liées qu’il n’y parait car elles représentent différents niveaux de la même pensée, notamment quand à leur projection dans le temps.

Fukuyama est le théoricien de la « fin de l’histoire » où il prophétise que le « dernier homme » sera celui de la vision idéologique américaine. On présente souvent les thèses de Fukuyama comme une vision trop optimiste liée à la victoire de 1991 et donc dépassée. C’est ignorer les travaux ultérieurs de cet auteur. Fukuyama représente au contraire la vision à long terme de l’impérialisme yankee. Celle de ses buts ultimes.
Huntington théorise les justifications idéologiques de l’affrontement de Washington avec le reste du monde. C’est une oeuvre à moyenne vision – les trois ou quatre prochaines décennies – destinée bien plus aux alliés supposés de Washington qu’au public américain. Ses théories sur « le choc des civilisations » visent à dissimuler les pratiques cyniques de la politique internationale américaine et à fournir une justification à une nouvelle politique de « containment », qui vise surtout la Russie et la Chine mais aussi l’Europe en voie d’unification, et à pérenniser celle-ci.

LA GEOPOLITIQUE US A L’HEURE DE LA SUPERPUISSANCE (2) :
ZBIGNIEW BRZEZINSKI (1928-2017) ET SON « GRAND ECHIQUIER »

Disciple de Henry Kissinger, souvent qualifié de « Richelieu américain » pour sa politique cynique et réaliste, Brzezinski donne, lui, les conditions de la puissance américaine, destinées à assurer une domination planétaire durable. C’est la théorisation géopolitique de l’impérialisme américain.
Dans ces théories on trouve un curieux mélange de cynisme, de brutalité et de faux moralisme. C’est la traduction au XXIeme siècle de la « manifest destiny ». Les USA ont une mission à accomplir. Ce qui est bon pour eux est bon pour le monde. Et le « libre commerce » assurera la paix mondiale. Chez Brzezinski cela frise parfois la caricature, les plus brutales théories géopolitiques voisinant avec des réflexions idéalisantes sur la paix et le bonheur des peuples.

Après l’idéologie avec Fukuyama et l’Histoire comme fondement opérationnel de l’action avec Huntington, le troisième grand théoricien de l’impérialisme américain au XXIeme siècle est Zbigniew Brzezinski dont le domaine est la géostratégie et la géopolitique et qui publie « The Grand Chessboard » en 1997, titré « Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde » pour son édition française. Disciple de Henry Kissinger et adepte de la « real politique » comme lui, Brzezinski, d’origine polonaise, est expert au Center for Strategic and International Studies (Washington DC) et professeur à l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Il fut conseiller du président des Etats-Unis de 1977 à 1981, puis sous Obama en 2008.

La réflexion de Brzezinski est centrée sur les conditions géopolitiques de la puissance américaine et de son contrôle sur l’Eurasie, le « grand échiquier » où Washington doit éliminer tout rival potentiel ou réel. Nous avons vu que Huntington n’était pas le créateur du concept des « guerres civilisationnelles » emprunté à un professeur marocain. De même, Brzezinski s’inspire largement des Théories de Jean Thiriart.

KARL HAUSHOFER (1869-1946) :
LE GEOPOLITICIEN DES « BLOCS CONTINENTAUX »

Influencé par les travaux de Friedrich Ratzel, Rudolf Kjellén (les pères de la Géopolitique en Allemagne) et Halford John Mackinder, Karl Haushofer (1869-1946) développe ses théories géopolitiques et fonde en 1924 la revue ‘Zeitschrift für Geopolitik’ (La Revue de Géopolitique). « Ouverte aux chercheurs en géographie de nombreux pays, notamment l’Union soviétique, celle-ci obtient rapidement une audience internationale. S’adressant à un large public, la revue ne présente cependant que la position de la géopolitique allemande, les membres du comité de rédaction se montrant tous favorables à la révision des clauses territoriales des traités mettant un terme au Premier conflit mondial. Durant ces années, Haushofer souhaite faire de son approche « une science appliquée et opérationnelle ». »

Partisan d’une alliance avec l’Union soviétique, il la défend dans les colonnes de son journal; il réserve un accueil chaleureux au Pacte germano-soviétique (Août 1939), puis, cohérent, condamne le déclenchement de la guerre à l’Est, ce qui entraîne l’arrêt de la publication de son journal en 1941. Après la tentative d’assassinat de Hitler du 20 juillet 1944, la Gestapo fait interner Karl Haushofer à Dachau tandis qu’Albrecht Haushofer, son fils, lié aux conspirateurs, disparaît dans la clandestinité. Ce dernier est toutefois arrêté quatre mois plus tard. Deux semaines avant la fin du conflit, un commando SS l’exécute, de nuit en pleine rue. On retrouve sur lui le recueil de poèmes Les sonnets de Moabit — du nom de la prison berlinoise où il a été incarcéré — qui est considéré comme un témoignage important de la littérature résistante allemande.

Haushofer influencera directement Ernst Niekisch (1889-1967), le père du concept géopolitique dit du « Grand Espace continental de Vladivostok à Flessingue » (Pays-Bas). Un bloc continental germano-slave. Sa perspective est celle d’Haushofer, mais d’Est vers l’Ouest, depuis Vladivostok comme la nôtre ! Niekisch a été aussi le premier des résistant à Hitler, le théoricien du « National-bolchévisme allemand » et un des fondateurs de la DDR (1) …

JEAN THIRIART (1922-1992) :
LE THEORICIEN DE LA QUATRIEME ROME

D’origine belge, Thiriart est méconnu en Europe occidentale où l’impasse a été faite sur ses thèses (2). Il n’en va pas de même eu Russie où il inspire aussi bien les théories géopolitiques et économiques des nationaux-communistes de Ziouganov que les concepteurs des thèses eurasistes mises à l’honneur par le président Poutine. Le manuel d’instruction géopolitique pour les officiers russes lui consacre un long chapitre élogieux. Au début des Années 80, Thiriart fonde l’école « euro-soviétique » (3), où il prône une unification continentale de Vlazdivostok à Reykjavik sur le thème de « l’Empire euro-soviétique » et sur base de critères géopolitiques.

Théoricien de l’Europe unitaire, Thiriart a été largement étudié aux Etats-Unis, où des institutions universitaires comme le Hoover Institute ou l’Ambassador College (Pasadena) disposent de fonds d’archives le concernant. Ce sont ses thèses anti-américaines « retournées » que reprend largement Brzezinski, définissant au bénéfice des USA ce que Thiriart concevait pour l’unité continentale eurasienne. Le succès médiatique des emprunts de Huntington ou de Brzezinski comparé au silence pesant qui entoure en Occident des théoriciens comme Thiriart s’explique par le monopole médiatique américain. A l’antique « ex Oriente lux » a visiblement succédé un « Ex America lux ».

Géopoliticien de l’Empire européen, Jean THIRIART axe ses réflexions sur l’intégration de la Russie et de l’Europe occidentale dans un Etat continental eurasien unitaire. THIRIART insiste sur la nécessité de l’organisation économique de l’Europe sur une base autarcique, reprenant les théories de Friedrich LIST et du général Haushofer. THIRIART qui conçoit l’Empire européen comme une nouvelle Rome, la quatrième Rome qui fait écho au concept messianique russe de la « troisième Rome » (Moscou après Rome et Byzanze), expose la nécessité de faire de la Méditerranée un Lac dont seront exclus les USA, une nouvelle « Mare nostrum ».

JORDIS VON LOHAUSEN(1907-2002) :
« PENSER EN CONTINENTS »

Le général et géopolitologue autrichien Von Lohausen (1907-2002), ancien membre de l’Etat major du Maréchal Rommel, proche des patriotes anti-nazis du 20 juillet 1944, s’inscrit dans la suite des thèses géopolitiques de Jean Thiriart sur « l’Europe de Vladivostok à Dublin ». Jordis VON LOHAUSEN a écrit des pages élogieuses sur le projet européen de THIRIART dans les Années 1960-75, sous le titre « REICH EUROPA », en Français « L’EMPIRE D’EUROPE ». Nous avons largement diffusé cette longue analyse publiée en Allemand et l’avons traduite en Français, Anglais, Italien, Espagnol et Russe.

Le livre principal de géopolitique du général, « MUT ZUR MACHT. DENKEN IN KONTINENTEN » (Vowinckel, Berg am See, 1979), traduit pour la petite histoire en Français par une des secrétaires de THIRIART, s’inscrit dans l’Ecole d’HAUSHOFER, mais reprend aussi de nombreuses conceptions de THIRIART. LOHAUSEN parle notamment de « l’Europe de Madrid à Vladivostok ». Dans l’exemplaire offert par LOHAUSEN à THIRIART en 1983 (et qui m’a été légué avec sa bibliothèque en 1999) figure la dédicace suivante : « En respectueux hommage à un grand Européen ».
LOHAUSEN a aussi visiblement été influencé par le concept du « Grand Espace continental de Flessingue à Vladivostok » de Ernst NIEKISCH. Dont on méconnaît profondément l’influence sur les jeunes officiers allemands des Années 1930-34, qui recherchaient une alternative au Nazisme (notamment avec les initiatives du Général SCHLEICHER, le « général rouge » qui voulait barrer la route à HITLER avec un Front uni des syndicats, de la Reichwehr et des nationalistes à la gauche du NSDAP », le « Quer front », le Front Transversal).
Pour Lohausen, « l’Europe puissance passe par la réunion de la grande communauté de peuples européens au sein d’un espace continental allant de ‘Cadix à Vladivostok’, il s’agit donc de construire une ‘Europe grand-eurasienne’. »

LES THESES GEOPOLITIQUES DE MACKINDER, SPYKMAN ET THIRIART :
LA TERRE CONTRE LA MER

La géopolitique, science née en Allemagne à la fin du XIXeme siècle, doit beaucoup aux concepts de Mackinder et de Spykman. Dès la fin du XIXeme siècle, l’école géopolitique américaine, dont les têtes de file sont Mahan et Spykman, entendra substituer les Etats-Unis à la Grande-Bretagne en tant que puissance maritime hégémonique.

Disciple critique de Mahan, Nicholas J. Spykman est son continuateur en même temps que le continuateur partiel et dissident de Mackinder. Comme le Britannique Mackinder, N.J. Spykman pense que le monde a un pivot. Mais ce pivot du monde n’est pas le heartland de Mackinder, la Russie. Le pivot du monde est composé des terres littorales (les coastlands de Mackinder) qu’il appelle le bord des terres, l’anneau des terres (rimland), ces terres constituant un anneau tampon entre le cœur, qui est soit la Russie soit l’Allemagne, et la puissance maritime britannique. Ces Etats tampons furent, par exemple, la Perse et l’Afghanistan utilisés par l’Angleterre contre la Russie entre le XIXème et le XXème siècle, comme la France fut utilisée contre l’Allemagne entre la deuxième moitié du XIXème siècle et la deuxième guerre mondiale.

Après la victoire sur l’Allemagne – Spykman écrit avant 1943 – il faut donc contrôler ces Etats tampons qui constituent le rimland, le pivot, si l’on veut contrôler le cœur du monde. Cette nécessité conduira à la mise en place d’une politique d’endiguement (containment) de la Russie soviétique, l’Europe de l’Ouest et la Turquie servant d’Etats tampons pour les Etats-Unis.

Fondateur de l' »Ecole euro-soviétique » au début des Années 80, Jean THIRIART développe le thème de la dimension vitale des Etats nécessaire pour garantir leur indépendance et qui requiert à l’époque moderne la taille des états continentaux. Théoricien de l’Etat unitaire paneuropéen, THIRIART étudie les causes de l’échec de l’Union Soviétique, qu’il pressent dès 1980 et dont il stigmatise le fédéralisme. Face à la superpuissance américaine, il plaide pour la fusion de la Russie (sur ses frontières sibériennes en Orient) avec l’Europe occidentale dans le cadre d’un Empire unitaire allant de Reykjavik à Vladivostok et du Groenland au Sahara.

LES FONDEMENTS GEOPOLITIQUES DE LA PUISSANCE AMERICAINE

Brzezinski s’inspire directement de ses théories pour définir les conditions de la puissance américaine au XXIeme siècle, la maintenir dans son rôle hégémonique de garants du « Nouvel Ordre Mondial » et pérenniser la sujétion de l’Europe occidentale. Pour maintenir leur leadership, qui n’est rien d’autre que la domination mondiale annoncée par Burnham, les USA doivent avant tout maîtriser le « grand échiquier » que représente l’Eurasie, où se joue l’avenir du monde. Cette maîtrise repose sur la sujétion de l’Europe occidentale, étroitement liée aux USA dans un ensemble politico-économique occidental, la communauté atlantique cadenassée par l’OTAN. Thiriart parlait de l’OTAN non comme « d’un bouclier mais d’un harnais pour l’Europe ». Elle repose aussi sur l’isolement de la Russie qu’il faut affaiblir irrémédiablement et démembrer.

Le danger mortel pour les USA, puissance extra-européenne à l’origine de par sa situation même, serait d’être expulsée d’Europe occidentale, sa tête de pont en Europe. Dans cet objectif, tout rapprochement de l’Europe et de la Russie, toute union eurasienne, sans même parler de fusion comme l’évoquait Thiriart, doit être empêchée par tous les moyens.
Zbigniew Brzezinski écrit : « L’Europe est la tête de pont géostratégique fondamentale de l’Amérique. Pour l’Amérique, les enjeux géostratégiques sur le continent eurasien sont énormes. Plus précieuse encore que la relation avec l’archipel japonais, l’Alliance atlantique lui permet d’exercer une influence politique et d’avoir un poids militaire directement sur le continent. Au point où nous en sommes des relations américano-européennes, les nations européennes alliées dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité. Si l’Europe s’élargissait, cela accroîtrait automatiquement l’influence directe des Etats-Unis. A l’inverse, si les liens transatlantiques se distendaient, c’en serait finit de la primauté de l’Amérique en Eurasie. »

LA BASE ESSENTIELLE D’UNE DEFAITE AMERICAINE :
ARRACHER L’EUROPE OCCIDENTALE DU BLOC AMERICAIN ET ARRETER LE NEOCOLONIALISME EN AFRIQUE

La Théorie léniniste de l’impérialisme, telle que nous l’avons révisée au milieu des Années ’60, reste un concept opérationnel pour l’organisation de la lutte mondiale. Mais elle n’explique plus le monde du XXIe siècle. Notre Ecole géopolitique a développé depuis les années 60 une autre théorie de l’impérialisme qui prend en compte la question ouest -européenne et qui prône donc non plus une tricontinentale mais un « front quadricontinental » contre l’impérialisme et l’exploitation.

La base de notre révision tient dans une analyse correcte de la subordination de l’Europe à l’impérialisme américain. L’Europe est « le deuxième poumon de l’impérialisme américain » et si on retire la puissance industrielle et militaire de l’Europe occidentale, on fait à nouveau des Etats-Unis une puissance régionale de second ordre. Notez que le géopoliticien américain, Zbigniew BRZEZINSKI développe exactement la même thèse dans LE GRAND ECHIQUIER (1997), mais à l’envers vue de Washington (comment assurer la superpuissance américaine).

Au début des années 80, nous animions l’ « Ecole euro-soviétique de géopolitique ». Nous voulions une « Grande-Europe de Vladivostok à Reikjavik » (en Islande, donc sur l’Atlantique), organisée autour de Moscou comme capitale et s’opposant à l’hégémonie atlantique de la grande puissance maritime que sont les USA, héritière de l’impérialisme anglo-saxon britannique. C’est cette idée qui est la base du Néoeurasisme actuel, tel qu’il existe en Russie. C’est un enfant naturel de notre théorie qui a été conçue au début des années 80. Nous avons depuis élargi notre vision avec « l’Axe Eurasie-Afrique », tout simplement parce que la caractéristique de la géopolitique c’est que la nécessité pour un état de rester indépendant requiert des dimensions de plus en plus grandes.

A la base de notre réflexion, il y a d’une part un axe géopolitique et d’autre part un axe idéologique :

Tout d’abord l’axe géopolitique. Nous pensons que la géopolitique est la base d’une véritable réflexion pour l’action politique lorsque l’on entend la mener au niveau transnational et international. Nous envisageons la géopolitique comme une science et la véritable manière de voir le monde, de lire l’actualité, mais aussi de lire le passé. On ne peut pas comprendre la géopolitique si on ne maîtrise pas l’Histoire. Ensuite la géopolitique n’existe pas dans le vide, mais vue de quelque part et défendant les intérêts d’un état ou d’un projet d’état. La géopolitique est une science dont le fondement, et on l’oublie trop souvent, c’est la puissance des états, leurs viabilité et leurs rapports de force. Il y a donc une géopolitique vue de Washington, une vue de Moscou, une autre de Pékin, ou encore d’Afrique. La nôtre est une géopolitique vue de Moscou, mais du futur de Moscou, parce que nous pensons que la Russie est le coeur de la résistance à l’impérialisme mondial et parce que aussi notre projet est un projet intégré à la fois eurasiatique et panafricain, articulé sur un « Axe Eurasie-Afrique » La géopolitique telle que nous l’appréhendons repose également sur la maxime du grand géopoliticien allemand, le général Karl Haushofer : il disait que « c’est un honneur de se faire enseigner par l’ennemi ». C’est ce que nous faisons. Ma réflexion géopolitique se base aussi sur une lecture quotidienne des géopoliticiens américains, de leur manière de voir le monde et de leur façon de concevoir le projet impérialiste américain dans le monde. »

NOTES ET RENVOIS :

(1) Cfr. Luc MICHEL, L’ALTERNATIVE NATIONAL-COMMUNISTE, MYTHES ET REALITES DU NATIONAL-BOLCHEVISME 1918-1993, Editions Machiavel, Bruxelles, 2e édition, 1995. Traductions en Anglais, Italien, Espagnol et Portuguais.

(2) Cfr. sur LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY/
GEOIDEOLOGIE. AUX ORIGINES DU NEOEURASISME (I) : LES CONCEPTIONS GEOPOLITIQUES DE JEAN THIRIART, LE THEORICIEN DE LA ‘NOUVELLE ROME’
sur http://www.lucmichel.net/2018/03/28/luc-michels-geopolitical-daily-geoideologie-aux-origines-du-neoeurasisme-i-les-conceptions-geopolitiques-de-jean-thiriart-le-theoricien-de-la-nouvelle-rome/

(3) Au début des Années 80, THIRIART fonde avec José QUADRADO COSTA et moi-même l’Ecole de géopolitique « euro-soviétique » où nous prônions une unification continentale de Vladivostok à Reykjavik sur le thème de « l’Empire euro-soviétique » et sur base de critères géopolitiques. Mes « Thèses sur la Seconde Europe » sont la continuation, actualisée, de nos positions géopolitiques des Années ’80.
Cfr. sur LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY/
GEOIDEOLOGIE. AUX ORIGINES DU NEOEURASISME (II) : L’ECOLE EURO-SOVIETIQUE DE GEOPOLITIQUE (1982-1991)
sur http://www.lucmichel.net/2018/04/03/luc-michels-geopolitical-daily-geoideologie-aux-origines-du-neoeurasisme-ii-lecole-euro-sovietique-de-geopolitique-1982-1991/

(4) Sur les thèses du général Von Lohausen :
Cfr. sur LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY/
GEOPOLITIQUE RETROSPECTIVE : LES GUERRES DES USA SONT DES GUERRES CONTRE LA ‘GRANDE-EUROPE’ ET POUR LA DOMINATION DE L’EURASIE AU XXIe SIECLE. OU COMMENT LES POLITICIENS DE L’UE ET DE L’OTAN FONT CES GUERRES CONTRE LES INTERETS VITAUX DE LEURS PEUPLES …
(LES GUERRES DE YOUGOSLAVIE III)
sur http://www.lucmichel.net/2017/11/26/luc-michels-geopolitical-daily-geopolitique-retrospective-les-guerres-des-usa-sont-des-guerres-contre-la-grande-europe-et-pour-la-domination-de-leurasie-au-xxi/

(Sources : EODE-TV, EODE Think Tank)
LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE

* Avec le Géopoliticien de l’Axe Eurasie-Afrique :
Géopolitique – Géoéconomie – Géoidéologie – Géohistoire –
Géopolitismes – Néoeurasisme – Néopanafricanisme
(Vu de Moscou et Malabo) :
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