Revue de Presse
(Livres – Débats – Idées)/
avec Le Point Afrique/ 2018 07 14/
SOUDAN :
COMMENT L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE A CREUSÉ LE FOSSÉ ENTRE LE NORD ET LE SUD …
(Publié le 13/07/2018 sur ‘Le Point Afrique’)
C’est à travers son dernier ouvrage que la chercheuse Iris Seri-Hersch tente d’expliciter ce qui apparaît comme une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.
L’enseignement de l’histoire dans un pays sous joug colonial ? Un vaste programme.
LE LIVRE « ENSEIGNER L’HISTOIRE À L’HEURE DE L’ÉBRANLEMENT COLONIAL. SOUDAN, ÉGYPTE, EMPIRE BRITANNIQUE (1943-1960) » DE IRIS SER-HERSH
- L’Empire colonial britannique vacille. La Grande-Bretagne vient de perdre un de ses joyaux : l’Inde. Et en Afrique, son autorité est malmenée au Soudan. Maître officiel du pays avec l’Égypte, elle doit de plus en plus composer avec les nationalistes soudanais. Son retrait n’est alors pas encore acté et l’incertitude plane alors sur l’avenir de cet immense espace soudanais.
Plusieurs questions préoccupent les observateurs :
les Britanniques vont-ils partir ?
Le pays sera-t-il gouverné par une alliance soudano-égyptienne ?
Deviendra-t-il un jour un état indépendant ?
C’est dans ce contexte que les éducateurs coloniaux se sont mis à élaborer de nouveaux programmes et manuels d’histoire.
Quels en étaient les enseignements ?
Pour quels élèves ?
Par qui étaient-ils utilisés ?
Et, surtout, quelle influence sur les péripéties futures du pays ces programmes ont-ils eue ?
Dans son ouvrage ENSEIGNER L’HISTOIRE À L’HEURE DE L’ÉBRANLEMENT COLONIAL. SOUDAN, ÉGYPTE, EMPIRE BRITANNIQUE (1943-1960), Iris Ser-Hersh, maître de conférences, chercheuse à l’Iremam et directrice du département d’Études moyen-orientales à l’université d’Aix-Marseille donne des pistes de réponses. Elle s’est confiée au Point Afrique.
L’INTERVIEW DE IRIS SER-HERSH
* Le Point Afrique :
Vous avez choisi de traiter l’enseignement de l’histoire en milieu scolaire par le prisme de « l’ébranlement colonial » au Soudan. Pourquoi ce choix ?
Iris Seri-Hersh : Après avoir travaillé sur le Soudan et l’Éthiopie à la fin du XIXe siècle – moment où les deux pays sont indépendants alors que le reste du continent africain passe sous domination européenne – j’ai commencé à m’interroger sur l’enseignement de l’histoire dans le Soudan anglo-égyptien (1899-1956). Je me suis alors demandé : quelle histoire transmettait-on aux jeunes Soudanais dans ce contexte de double tutelle coloniale ? Et comment l’histoire était-elle enseignée, et à quelles fins ? C’est en collectant des sources au Soudan et au Royaume-Uni que je me suis rendu compte de l’intérêt que présentait l’époque des années 1940 et 1950. Celle-ci est caractérisée par une richesse documentaire : pour la première fois dans l’histoire du Soudan, de véritables manuels en langue arabe sont produits localement pour les écoles, phénomène qui est loin d’être évident dans les sociétés coloniales.
Le contexte politique m’a paru également intrigant. La rivalité anglo-égyptienne accrue pour le contrôle du Soudan, l’activisme des mouvements nationalistes soudanais, l’unification du Nord et du Soudan du Sud après vingt-cinq ans de gestion séparée, ainsi que l’ébranlement de l’Empire colonial britannique durant et juste après la Seconde Guerre mondiale … tout cela augurait de fortes incertitudes sur l’avenir politique du pays.
* Quelle période de l’histoire était la plus pertinente pour votre étude ?
L’ouvrage se focalise sur la période de « l’ébranlement colonial », terme que je préfère à celui, trop téléologique et mécanique, de « décolonisation ». Le cœur de l’ouvrage porte donc sur les années 1940 et 1950. Mais une contextualisation historique étirée dans le temps soudanais (1820-1956) et dans l’espace de l’Afrique coloniale britannique était nécessaire pour saisir plusieurs éléments-clés. J’ai donc étudié l’histoire contemporaine du Soudan (Turkiyya, Mahdiyya et Condominium anglo-égyptien) en tant que contexte et objet des textes scolaires analysés, ainsi que l’Afrique britannique comme champ de déploiement de politiques éducatives qui évoluent, entre 1900 et 1950, d’un enseignement au service de l’empire – réservé à une infime minorité – à un enseignement plus massif et censé préparer les jeunes Africains à la modernité post-impériale, autrement dit à la souveraineté nationale.
* Comment les thèmes de la colonisation, et surtout du Condominium, étaient-ils traités dans les livres scolaires ?
Les résultats de mon analyse sont très nuancés par rapport à une interprétation « post-marxiste » typique des années 1960 à 1980, qui marque encore certains travaux se réclamant des postcolonial studies, où l’enseignement colonial est conçu comme un acteur ou un ensemble d’acteurs visant un unique objectif, celui d’imposer des valeurs et des connaissances « européennes » aux populations colonisées, dont le but est l’acculturation. Des études qui tablent aussi sur le fait que cette supposée politique éducative est postulée d’emblée, d’où une tendance à surévaluer le pouvoir réel de l’État colonial. Selon cette approche, une histoire essentiellement européenne aurait était enseignée aux sujets colonisés, forcés de « renoncer » à leur identité propre.
Mon ouvrage donne à voir des réalités beaucoup plus complexes et nuancées. Les programmes d’histoire de la période coloniale incluaient des sujets relevant de l’histoire « mondiale », européenne, islamique et soudanaise de l’Antiquité à l’ère contemporaine. Les histoires des colonisateurs et des colonisés étaient ainsi enseignées. L’histoire soudanaise occupait plus d’un tiers du programme élémentaire et était surtout traitée en 4e année, dernière année d’étude pour 90 % des Soudanais scolarisés au début des années 1950.
* Comment le traitement de l’histoire en milieu scolaire a-t-il pu jouer un rôle dans la scission de 2011 ?
De manière générale, je me méfie des lectures téléologiques de l’histoire, qui tendent à interpréter les événements au prisme d’une fin déjà connue, en l’occurrence, la scission du Soudan en deux États en 2011. Ainsi, on ne peut pas affirmer que l’histoire enseignée dans les écoles soudanaises a conduit mécaniquement à l’éclatement de la guerre civile entre le Nord et le Sud en 1955 et à la poursuite d’hostilités très meurtrières durant plusieurs décennies.
J’ai cependant pu aboutir à une hypothèse de travail solide : les récits historiques diffusés dans l’ensemble des écoles élémentaires et intermédiaires soudanaises à partir des années 1950 contribuèrent à élargir le fossé psychologique, idéologique et politique entre les populations du Nord et celles du Sud. D’une part, parce que les éducateurs, par le biais des manuels, s’adressaient à tous les élèves comme à des musulmans arabophones, ignorant de la sorte les minorités religieuses et linguistiques du pays ; d’autre part, parce qu’ils présentaient les acteurs – ou plus justement les figurants – historiques sud-soudanais comme des tribus lointaines, primitives, passives, voire hostiles.
Les langues, religions et cultures sud-soudanaises n’existaient pas dans le récit scolaire du Soudan « unifié » d’après 1947. Engagés dans un processus conscient de construction d’un État-nation arabe et musulman, les politiciens et intellectuels de Khartoum estimaient nécessaire de substituer à la diversité des sociétés et identités sud-soudanaises une culture arabo-musulmane du Nord perçue comme englobante et unifiée. Ce projet d’homogénéisation culturelle, qui se traduisit sur le terrain par des politiques d’arabisation et d’islamisation des populations sudistes, fut conjugué à l’exclusion politique et économique des Sud-Soudanais, une population défavorisée par une stigmatisation sociale persistante liée à l’expérience historique de l’esclavage et un investissement britannique moindre dans l’éducation et les infrastructures depuis le début du Condominium.
Cet ensemble de facteurs politiques, économiques et idéologiques explique pourquoi les Sud-Soudanais ont, dès 1955, remis en cause la nature de l’État postcolonial soudanais, prônant tantôt une solution fédérale, tantôt un « Nouveau Soudan » inclusif et démocratique, ou encore la sécession du Sud. Cette dernière option l’a finalement emporté lors du référendum d’autodétermination de janvier 2011 et le Soudan du Sud est devenu indépendant le 9 juillet 2011.
* Existe-t-il des similarités entre l’enseignement de l’histoire au Soudan et celui qui était pratiqué dans les autres pays sous domination britannique ?
J’ai comparé le Soudan avec un certain nombre d’autres territoires de l’empire britannique à l’époque de l’« ébranlement colonial » (1943-1960) : des territoires africains encore fermement maintenus sous tutelle coloniale (Ouganda, Rhodésie du Nord, Nigeria), deux poids lourds de l’empire en train de s’en affranchir (Inde, Égypte) et la métropole (Grande-Bretagne). Le Soudan partageait un certain nombre de caractéristiques avec d’autres territoires africains, notamment la prédominance, dans les programmes du cycle secondaire, d’une histoire « translocale » (essentiellement méditerranéenne antique et européenne moderne) par rapport à l’histoire locale « nationale ». Les raisons de ce déséquilibre étaient à la fois pratiques (pénurie de sources et de manuels sur l’histoire locale) et idéologiques (hiérarchisation des savoirs favorable à l’histoire européenne). Cette similitude se retrouvait dans la stratification du corps enseignant. Alors que l’enseignement élémentaire et intermédiaire était assuré par des instituteurs autochtones, l’enseignement secondaire était dispensé par des professeurs britanniques, faute d’enseignants locaux jugés suffisamment compétents.
Cependant, le Soudan se rapprochait de l’Égypte sur deux points : l’inclusion de l’histoire du monde musulman dans les programmes et la part belle donnée à une interprétation « nationaliste » du passé local, avec une représentation inversée de l’Égypte dans chacun des cas : puissance impérialiste oppressive pour les éducateurs britanniques et soudanais, nation glorieuse et éternelle pour les pédagogues égyptiens. Le Soudan et l’Inde avaient en commun certaines approches didactiques de l’histoire, en particulier l’apprentissage par l’activité et l’expérience concrète (via la réalisation de dessins, maquettes, cartes, expositions et pièces de théâtre, ou encore la visite de vestiges historiques). Cette approche semble avoir été alimentée par la lecture des mêmes ouvrages de didactique de l’histoire produits par des auteurs anglo-saxons durant la première moitié du XXe siècle.
Les méthodes d’enseignement de l’histoire dans le Soudan colonial d’après-guerre ont emprunté largement à la tradition scolaire anglo-saxonne. Mais en matière d’application des prescriptions sur le terrain, il est intéressant de constater que la colonie était « plus métropolitaine que la métropole ». En effet, les approches et outils élaborés initialement en Grande-Bretagne firent l’objet de prescriptions minutieuses au Soudan, alors qu’ils n’étaient que vaguement conseillés en métropole, où les enseignants jouissaient d’une très grande marge de liberté pédagogique.
Carte :
Carte scolaire de la colonisation en Afrique (Livre de Géographie de Jean Brunhes, éditions Mame 1937).
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