LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/
2018 04 05/
« Jean Thiriart, s’adressait à Andropov au début des années 80 dans son traité L’Empire euro-soviétique de Dublin à Vladivostok, destiné à devenir le manuel géopolitique des « patriotes » russes modernes »
(Dr Alexander Yanov, « The Puzzles Of Patriotic Communism »,
Boston University, 1996)
Nous avons vu dans les Parties I et II de mon analyse (1), que le « Néoeurasisme » actuel était la matrice et la genèse de l’Eurasisme moderne. Mais l’influence de l’Ecole euro-soviétique de géopolitique ne s’est pas limitée à cela. Elle a inspiré à la fois la réforme avortée du dirigeant soviétique Andropov et ensuite dans la résistance soviétique aux liquidateurs Gorbatchev et Eltsine, celle de la « Fraction nationale-patriotique » du PCUS. Cette affirmation n’est pas la mienne, mais celle d’un Soviétologue de premier plan, le Dr Alexander YANOV, dans son analyse « The Puzzles Of Patriotic Communism, Gennadi Zyuganov, The Russian Milosevic? » (1996) (2) !
Déjà, dans les Années 1928-30, les thèses eurasistes initiales, développées dans les milieux de l’émigration en France et en Allemagne, avaient influencé le PCbR (devenu le PCUS). A un moment où Staline imposait sa ligne « nationale-bolchévique » (3) (4) …
# I –
QUELLES SONT LES ANALYSES DU SOVIETOLOGUE ALEXANDER YANOV ?
Parlons des analyses du Dr Alexander YANOV qui faisait en 1996 de THIRIART « l’inspirateur des thèses d’ANDROPOV » et de la « Fraction nationale-patriote » du PCUS. Une analyse qui rejoint nos thèses et fait de l’Ecole euro-soviétique de géopolitique et de THIRIART le « père idéologique occulté du renouveau russe » …
QUI EST LE DR ALEXANDRE YANOV ?
Cette analyse, extrêmement bien documentée, a été publiée en 1996 sous le titre « The Puzzles Of Patriotic Communism, Gennadi Zyuganov, The Russian Milosevic? » (Boston University, USA) par le Dr Alexander YANOV, un analyste lié aux Instituts de recherche américains, et alors très connu à Moscou.
Le Dr Alexander YANOV est un analyste politique et un soviétologue amplement publié en Union soviétique dans les années 50 et 60, il a avec succès défendu sa thèse sur « Les Slavophiles et Constantin Leontyev » en 1970. En 1974, après que son « Histoire de l’Opposition politique en Russie » fut envoyée en Occident, « attirant l’intérêt intense du KGB, on lui a offert le choix entre l’émigration ou la prison ». Il a écrit de nombreux livres et articles, principalement : « La détente après Brejnev : les racines intérieures de la politique étrangère soviétique » (1977) ; « Le drame des années 60 soviétiques : Une réforme perdue » (1984) et « Le défi russe et l’année 2000 » (1987).
L’Université de Boston disait de son œuvre en 1996 que « ces ouvrages constituent non seulement le traitement qui fait le plus autorité sur le fil « patriotique » dans la politique contemporaine russe mais une unique approche à l’étude de l’histoire russe »
QUELLE EST LA THESE DU DR YANOV ?
LES DEUX PERESTROIKA …
Celui-ci appuie indubitablement ma thèse sur d’une part l’influence primordiale de THIRIART comme inspirateur des thèses néoeurasistes et d’autre part sur leur diffusion par le canal de ZIOUGANOV et pas de DOUGUINE (dont le rôle a été surestimé par Marlène LARUELLE, prise d’empathie, comme jadis TAGUIEFF pour Alain de Benoist).
L’auteur y étudie la montée de la « fraction nationale-patriote » – opposée à la fraction libérale partisane de la détente – au sein du PCUS depuis 1970, son échec avec la mort d’Andropov, sa résurrection avec le KPRF et ZIOUGANOV. D’où le titre, YANOV écrit en 1996, à un moment où le KPRF est aux portes du pouvoir en Russie et en passe de faire ce que LUKASHENKO a réussi au Belarus. Il faudra l’alliance des oligarques russes, de l’appareil d’Etat américain et des « spin doctors » venus des USA pour maintenir le régime d’Eltsine au pouvoir …
Il y oppose deux Perestroïka :
– l’une, nationaliste (qui a échoué en Russie à cause de la mort prématurée d’ANDROPOV, mais qui plus tard a réussi en Yougoslavie avec MILOSEVIC, d’où le titre de l’analyse)
– à l’autre, libérale, engagée par GORBATCHEV.
En pages 14 et 15, Jean THIRIART, malgré quelques graves erreurs d’appréciation de l’auteur, y est présenté comme l’inspirateur au début des Années 80 d’Andropov et de cette Fraction nationale-patriote du PCUS. Ce qui confirme aussi par ailleurs mes analyses sur la diffusion de nos thèses dans l’intelligentsia soviétique du PCUS dans les années 80.
Que dit le YANOV de la Fraction nationale-patriote du PCUS et de l’influence de THIRIART sur celle-ci dès 1980 dans « Les puzzles du communisme patriotique : Gennadi Ziouganov, le Milosevic russe ? » :
« Leur logique était simple et irrésistible : un empire militaire ne peut pas survivre sans un ennemi et une confrontation permanente. Il n’était simplement pas désigné pour la paix. La détente somnolente brejnévienne le tuait. Non seulement, les « patriotes » avaient la bonne réponse au malaise impérial : c’était la seule bonne réponse (…) Jean Thiriart, s’adressait à Andropov au début des années 80 dans son traité L’Empire euro-soviétique de Dublin à Vladivostok, destiné à devenir le manuel géopolitique des « patriotes » russes modernes. Voici les thèses centrales de Thiriart : (…) « Les maîtres du Kremlin font face à un choix historique. La géopolitique et la géostratégie forceront l’URSS soit à créer une Europe soviétique soit à cesser d’exister comme grande puissance. » (…) La perestroïka nationaliste, victorieuse quelques années plus tard en Serbie, a été vaincue en Russie parce qu’en février 1984 les « patriotes » russes ont perdu leur Milosevic. Dévastés par cette perte, mis dans l’incapacité et démoralisés, ils se sont retirés aux marges de la politique soviétique, dégageant la voie pour une perestroïka libérale ». Et l’auteur ajoute, soulignant le caractère déterminant des thèses de THIRIART, que « Les seules nouvelles idées capables d’inspirer les Russes sans détruire l’empire furent celles du nationalisme impérial (exactement les mêmes que celles qui furent utilisées à la fin des années 80 par Slobodan Milosevic) » (5).
Les thèses géopolitiques de la fraction nationale-patriote sont aujourd’hui celles de POUTINE.
QUE VOULAIT LE DIRIGEANT SOVIETIQUE ANDROPOV ?
La journaliste française Laure MANDEVILLE, experte en Russophobie (6), précise qu’ « Andropov détestait l’Occident et ses valeurs » et voit en lui l’ « inspirateur » de POUTINE, qui a choisi « une vision plus eurasienne de l’avenir russe », « au nom d’une idéologie patriotique aux relents weimariens ». Lire « nationale-bolchevique », suivant les analyses du politologue Walter LAQUEUR sur Weimar et la Russie des débuts de l’Ere Eltsine (7), reprises aujourd’hui par Marlène LARUELLE (8) (9).
Aucune mention n’est faite de DOUGUINE dans cet article, que Alexander YANOV connaît sans aucun doute, puisqu’il cite par ailleurs les thèses de THIRIART publiées en russe dans le n°1 d’ELEMENTY (ЭЛЕМЕНТЫ, 1992).
# II –
D’ANDROPOV A MILOSEVIC …
Il faut encore préciser la place de MILOSEVIC dans cette analyse …
ESQUISSE DU « NATIONAL-COMMUNISME »
Une précision de départ tout d’abord. Les politologues sérieux, pas les flics de la pensée politique des Universités franco-belges, classent dans une même catégorie, qu’ils nomment le « National-communisme », des mouvements politiques comme le KPRF russe, le régime de LUKASHENKO au Belarus ou encore le SPS de MILOSEVIC ou la JUL, la « Gauche Unie Yougoslave » de Mirjana MARKOVIC.
ET bien entendu notre PCN, qui idéologiquement et politiquement, les a tous précédé de presque une décennie (dès le début des Années ’80). Lorsque nous étions représentés au Parlement Wallon, en Belgique, dans les Années 1996-98, la questure nous avait étiquetés « national-communistes ».
QUE VOULAIT ET QUE REPRESENTAIT MILOSEVIC ?
MILOSEVIC est le produit d’un processus collectif et d’une stratégie politique. Dans son livre MILOSEVIC, UNE EPITAPHE (10), l’éditeur serbe Vidosav STEVANOVIC, un adversaire radical du président yougoslave, analyse cet aspect méconnu de l’histoire :
« L’ascension de Milosevic a quelque chose de fabriqué et de prémédité. Il ne s’est pas imposé tout seul. Quelqu’un l’a choisi et proposé aux cercles les plus fermés du Parti, de l’armée et de la police. Ce quelqu’un, c’est son frère aîné Borislav, policier professionnel, diplomate à l’occasion. Il a passé un an à Moscou dans le cadre d’une formation secrète; or, là-bas, tout ce qui est secret est lié au KGB. Ceux qui ont reçu la même formation ou qui partagent les mêmes idées sont nombreux en Yougoslavie: ce sont des adeptes cachés d’un stalinisme imprégné de slavophilie et d’orthodoxie. Les académiciens n’ont pas été seuls à rédiger le Mémorandum: d’autres conjurateurs l’ont préparé ».
Il y a une interaction entre les nationaux-patriotes russes et ceux de Yougoslavie. Une même volonté de renouvellement idéologique. Une même angoisse de préserver à la fois l’Etat et le système socialistes, étroitement liés. Et un même front politique et idéologique contre les libéraux pro-occidentaux.
La mort d’ANDROPOV, le « Milosevic russe » selon le Dr YANOV, a fait que les Russes ont échoué là où les Yougoslaves ont réussi. Les « Gorbatchev » yougoslaves ayant perdu la bataille vers 1987-88. Evoquent le coup d’état de 1991 à Moscou, Vidosav STEVANOVIC précise ce qui suit : « Les premiers jours, les hommes de Milosevic fêtent publiquement la « victoire des forces saines »; dans les bureaux du gouvernement, les bouchons sautent. Puis, c’est la déception. Le putsch en Union soviétique est un échec. Mais les alliés d’aujourd’hui et de demain, communistes et nationalistes, sont bien vivants. Le frère aîné maintient un contact permanent avec eux » (…) Milosevic garde un œil sur l’Union Soviétique. Les communistes et les nationalistes vont-ils s’y allier à temps et sauver l’empire qui vacille? Si cela n’a pas lieu, il leur donnera l’exemple en créant, sur les bases renouvelées du national-communisme, une petite royauté expérimentale dont il sera le cœur. »
LA IIIe YOUGOSLAVIE :
LABORATOIRE DU « NATIONAL-COMMUNISME »
Et ce sera la mise sur pied de la nouvelle Yougoslavie, la troisième, celle de Milosevic, que certains, comme moi, ont appelé « le laboratoire du national-communisme » (11).
STEPANOVIC évoque « les communistes, du moins ceux de Belgrade (…) restés fidèles a eux-mêmes (…) Ceux-ci, grâce a la contre-méthode de leur leader combinent toutes ces résistances et ces idéologies en une même composition chimique de forte puissance. Dans une sorte de néonationalisme, produit dans les laboratoires du régime et distribué gratuitement par les medias. » Ces précisions sont éclairantes et expliquent les thèses du Dr Alexander YANOV.
LES OPPOSITIONS ENTRE FRACTIONS LIBERALES PRO-OCCIDENTALES ET FRACTIONS SOCIALISTES LORS DE L’EFFONDREMENT DES REGIMES SOCIALISTES A L’EST A PARTIR DES ANNEES 80 ET LE « PROCESSUS DE TRANSITION »
Vaste sujet, que je vais essayer de vous synthétiser …
Le « processus de transition » répond à un concept à la fois économique et politique. Qui est la notion centrale du passage des économies socialistes à l’économie libérale-capitaliste mondialisée. Ce processus d’ailleurs dépasse très largement l’économie pour concerner l’ensemble du passage de l’ancienne société à l’économie capitaliste et à l’état libéral. Un processus global donc à la fois économique, politique, social et culturel. La « mise au pas » – pour employer le vocabulaire du IIIe Reich – d’une nation au diapason du monde libéral américanisé !
Partout à l’Est, ce processus a été réalisé. Sauf au Belarus, où le président Lukashenko l’a à partir de 1996 arrêté et inversé, maintenant l’Etat socialiste dit « post-soviétique ». Ce qui explique la haine de l’Occident pour l’homme d’état de Minsk. Et sauf en Yougoslavie jusqu’en 2000 et le renversement de Milosevic par un coup d’état rampant pro-occidental.
On l’ignore souvent, mais la Yougoslavie, celle de Tito agonisante des Années 80, a été aussi le laboratoire de la liquidation du Socialisme à l’Est. Précisément avant que Milosevic et ses partisans y mettent un coup d’arrêt. Borislav Jovic, l’homme de Milosevic qui représentait alors la Serbie a la Présidence yougoslave, déclare : « Nous ne sommes pas la Roumanie : l’armée, la police et le peuple sont de notre côté ». « A Belgrade, grâce a la contre méthode de Milosevic, quelque chose d’autre a lieu en effet qu’on pourrait appeler la « contre-glasnost », précise Vidosav STEVANOVIC. Le mot « peuple » remplace le mot « classe » sur lequel reposait tout l’idéologie marxiste. Cela suffit pour arrêter la marche de l’Histoire. »
MILOSEVIC : COUP D’ARRET AU PLAN OCCIDENTAL !
L’analyse de Vidosav STEVANOVIC est importante pour expliquer et comprendre. A la fois parce qu’elle vient d’un partisan de l’Occident et d’un adversaire de Milosevic et parce qu’elle met, involontairement, l’accent sur ce qui s’est véritablement passé alors en Yougoslavie.
L’émergence de Milosevic, la naissance de la IIIe Yougoslavie et le coup d’arrêt donné à la marche du capitalisme et de l’OTAN, ce n’est pas une question relative au « nationalisme » ou aux nationalismes. C’est tout autre chose. Et le nationalisme n’a été qu’un instrument. Aux mains de l’Occident pour démembrer la Yougoslavie en soutenant les nationalismes centripètes mortifères. Mais aussi un instrument aux mains de Milosevic pour maintenir l’Etat et le système socialistes :
« A ce moment, la Yougoslavie, déstabilisée, ne se pose sérieusement qu’une seule question : comment sortir du socialisme ? précise STEVANOVIC. Le socialisme yougoslave se distingue de celui de ses frères de l’Est : plus libéral (…) les frontières sont ouvertes, le tourisme se développe, une partie de l’économie relève du secteur privé, l’autogestion signifie – du moins si l’on en croit ses théoriciens – que les entreprises appartiennent aux employés. Les ligues de communistes autorisent une sorte de glasnost discrète, les intelligentsias rouspètent et s’agitent. Tito est suffisamment présent pour maintenir tant bien que mal le système des crédits et l’oisiveté. Le processus de libéralisation du plus grand et plus riche Etat balkanique se déroulera peut-être plus facilement et plus rapidement qu’ailleurs. Il suffirait d’agir de façon raisonnable ».
Mais la fraction socialiste de la Ligue des Communistes – le parti yougoslave – choisi Milosevic et celui-ci organise sa « contre-glasnost » : « Les événements se seraient déroulés ainsi si « l’homme fort de Belgrade » n’avait pas été là, précise STEVANOVIC. Milosevic, lui, soulève une tout autre question : comment préserver le maximum de « même » ? Comment sortir du socialisme en retournant au communisme ? » !
Vidosav STEVANOVIC explique aussi clairement le processus (pour le défendre) en œuvre au milieu des Années 80 en Yougoslavie : « Le pouvoir fédéral et son président libéral, Ante Markovic, tentent alors de réformer l’économie.
La réforme de Markovic reposait sur quatre postulats : a) la mise sur pied d’institutions commerciales ; b) l’ouverture du pays au monde ; c) l’instauration d’un Etat de droit s’accompagnant d’un élargissement des droits de l’homme ; d) la démocratisation de la vie politique et l’introduction d’un système pluripartite… » « Il convient de préciser que ces postulats n’ont pas toujours été entièrement explicites ; dans le cas contraire, la résistance aurait vraisemblablement été plus forte, ajoute STEVANOVIC. La propriété publique- encore une des originalités de la Yougoslavie – devait être privatisée selon un processus appliqué plus tard avec succès en Pologne, en Hongrie et en Tchéquie. Les privatisations devaient se dérouler sur cinq ans. » Un processus que l’économiste Mladan DINKIC appelle « L’Economie de la destruction- Le grand pillage de la nation ».
Le processus de transition s’accompagne, comme partout ensuite, d’un volet politique (12) (13) : « Ce libéralisme économique s’accompagne d’une libéralisation politique. Le gouvernement fédéral ouvre ses portes au système pluripartite et autorise les républiques à l’instaurer selon leurs besoins et à leur manière. Il se montre cohérent avec lui-même, mais ouvre ainsi la boîte de Pandore de la folie balkanique. Les fantômes du passé – contenus un demi-siècle durant par une idéologie oppressive – refont surface, plus vigoureux et déments que jamais ». Dans le contexte balkanique, comme plus tard dans le Caucase, cela s’avérera criminel. Ce crime n’est pas celui de Milosevic. C’est celui de l’Occident, des USA, de l’OTAN, des politiciens de l’UE ! De ceux qui ont la boîte de Pandore yougoslave.
# ANNEXE :
« THE PUZZLES OF PATRIOTIC COMMUNISM, GENNADI ZYUGANOV, THE RUSSIAN MILOSEVIC? »
Analyse du Dr Alexander YANOV, PUBLICATION SERIES, Nr 12, ISCIP / Institute for the Study of Conflict, Ideology and Policy, Boston University, USA, Juin 1996.
Extraits :
(version française / Service de Presse du PCN)
« Leur logique était simple et irrésistible : un empire militaire ne peut pas survivre sans un ennemi et une confrontation permanente. Il n’était simplement pas désigné pour la paix. La détente somnolente brejnévienne le tuait. Non seulement, les « patriotes » avaient la bonne réponse au malaise impérial : c’était la seule bonne réponse.
(…) Jean THIRIART, s’adressait à Andropov au début des années 80 dans son traité L’Empire euro-soviétique de Dublin à Vladivostok, destiné à devenir le manuel géopolitique des « patriotes » russes modernes.
Voici les thèses centrales de THIRIART :
– « Ce n’est pas la guerre – c’est la paix qui épuise l’Union soviétique. En fait, elle ne peut pas exister dans des conditions de paix » ;
– « L’Empire russe a hérité le déterminisme, les soucis, les risques et la responsabilité du Troisième Reich, la destinée de l’Allemagne. Du point de vue géopolitique, il est un héritier du Troisième Reich ». ;
– « C’est pourquoi « il ne lui reste rien que de réaliser le mouvement de l’Est vers l’Ouest, ce que le Troisième Reich a raté d’accomplir de l’Ouest vers l’Est » ;
– « Les maîtres du Kremlin font face à un choix historique. La géopolitique et la géostratégie forceront l’URSS soit à créer une Europe soviétique soit à cesser d’exister comme grande puissance. » (…)
Mais si les « patriotes » ont compris cela, comment se fait-il qu’Andropov, un stratège né, ne l’a pas compris ? Et s’il l’avait compris, alors ses choix furent réduits à deux : soit de prendre le risque d’une guerre européenne avec une perestroïka nationaliste soit d’accepter une lente agonie pour son cher empire. Peut-il y avoir un doute à ce qu’il a choisi ?
Si cette analyse est correcte, le puzzle principal du communisme « patriotique » semble être résolu. La perestroïka nationaliste, victorieuse quelques années plus tard en Serbie, a été vaincue en Russie parce qu’en février 1984 les « patriotes » russes ont perdu leur Milosevic. Dévastés par cette perte, mis dans l’incapacité et démoralisés, ils se sont retirés aux marges de la politique soviétique, dégageant la voie pour une perestroïka libérale (…)
Les seules nouvelles idées capables d’inspirer les Russes sans détruire l’empire furent celles du nationalisme impérial (exactement les mêmes que celles qui furent utilisées à la fin des années 80 par Slobodan Milosevic). Mais ces recours étaient aux mains des « patriotes». »
NOTES ET RENVOIS :
(1) Cfre. sur LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY/
GEOIDEOLOGIE. AUX ORIGINES DU NEOEURASISME (I) :
LES CONCEPTIONS GEOPOLITIQUES DE JEAN THIRIART, LE THEORICIEN DE LA ‘NOUVELLE ROME’
Et GEOIDEOLOGIE. AUX ORIGINES DU NEOEURASISME (II) :
L’ECOLE EURO-SOVIETIQUE DE GEOPOLITIQUE (1982-1991)
(2) Dr Alexander YANOV, « The Puzzles Of Patriotic Communism, Gennadi Zyuganov, The Russian Milosevic? », PUBLICATION SERIES, Nr 12, ISCIP / Institute for the Study of Conflict, Ideology and Policy, Boston University, USA, Juin 1996.
(3) Cfr. M. Agursky , IDEOLOQIA NATSIONAL-BOLSHEVIZMA, Moscou, 1980;
- Agursky , L’IDEOLOQIE NATIONALE-BOLCHEVIQUE, Thèse, Ecole des Hautes Etudes, Paris, 1983;
- Agursky , THE THIRD ROME. NATIONAL BOLCHEVISM IN THE USSR, Westview Press, Boulder, 1987;
- Agursky , LA TERZA ROMA. IL NAZIONALBOLSCEVISMO IN UNIONE SOVIETICA, Il Mulino, Bologne, 1989.
- AGURSKY est le fils de Samuel AGURSKY (1889-1947) qui fut secrétaire général de la section juive du Parti Communiste de l’URSS, puis directeur de l’lntitut d’histoire de ce parti.
LA « TROISIENE ROME » : LE NATIONAL-BOLCHEVISNE EN UNION SOVIETIQUE , c’est sous ce titre de qu’ AGURSKY réunit les différentes formes de National-bolchevisme en Russie puis en Union soviétique, du milieu du XIXe siècle au triomphe du Stalinisme et du socialisme dans un seul pays en 1927. La thèse centrale d’ AGURSKY est que la Révolution d’octobre fut éminemment et principalement russe et nationaliste avant tout et qu’elle rejoignait ainsi la mission messianique de Moscou et de la Russie, se voulant la « Troisième Rome » succédant à Rome et à Constantinople et le centre d’unification du monde. La volonté de révolution mondiale et l’internationalisme du Komintern étant placés au service implicite de cette mission.
AGURSKY étudie longuement les fondements historiques et culturels en Russie de ceux qui attribuent à ce peuple un rôle salvateur et révolutionnaire dans le monde, notamment les courants panslaviste, populiste et socialiste-révolutionnaire. L’une des thèses d’ AGURSKY est que LENINE a révisé le Marxisme en le nationalisant et en le russifiant et que STALINE a accompli et porté à son terme ce processus. Avec la victoire des bolcheviques, Moscou, la « Troisième Rome », devient donc le centre du mouvement révolutionnaire mondial et rejoint par là la mission traditionnelle de la Russie. AGURSKY définit d’ailleurs le Bolchevisme comme l’ « association du Communisme et de la Nation russe ».
Son livre (non édité en français, alors que la thèse a été soutenue en français à Paris !), bien qu’hostile au National-bolchevisme et au Stalinisme, est aujourd’hui incontournable dans l’étude des différentes formes russes du National-bolchevisme et il est particulièrement dommage que les universitaires qui étudient le National-bolchevisme en France et en Allemagne lui attribuent, volontairement sans doute, peu d’intérêt. Il est vrai qu’il remet fondamentalement en cause leur thèse centrale qui fait du National-bolchevisme une excroissance de la « Révolution conservatrice » et de l’extrême-droite. Mettre en parallèle la thèse du professeur AGURSKY, qui présente un National-bolchevisme issu de la gauche la plus extrême, met évidemment à néant les thèses de DUPEUX (et de ses suiveurs français et britanniques) sur le National-bolchevisme germanique, qui lui est apparenté idéologiquement.
(4) Cfr. Yitzhak M Brudny, REINVENTING RUSSIA: RUSSIAN NATIONALISM AND THE SOVIET STATE, 1953-1991, Russian Research Center Studies #91.
Et : David Brandenberger, NATIONAL BOLSHEVISM. STALINIST MASS CULTURE AND THE FORMATION OF MODERN RUSSIAN NATIONAL IDENTITY, 1931-1956, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2002 ;
(5) Extraits en version française, Service de Presse du PCN (PCn-SPO), 2010.
(6) Cfr. Laure MANDEVILLE, LA RECONQUETE RUSSE, Grasset, Paris, 2008.
Un livre dans la droite ligne de la Russophobie atlantiste, qui puise ouvertement ses sources dans la Russophobie et le racisme anti-slave des théoriciens fascistes des Années 1920-45. MANDEVILLE cite comme ainsi comme source d’inspiration pour appréhender le « destin » russe un « livre brillant » de Henri MASSIS, DECOUVERTE DE LA RUSSIE, publié en 1944 sous l’occupation et avec l’accord de la censure allemande !
Auteur de DEFENSE DE L’OCCIDENT (Plon, Paris, 1926), son livre le plus célébre, où il part notamment en croisade contre l’éveil, des peuples colonisés, MASSIS (1886-1970) était un spécialiste de la dénonciation des « hordes asiates russes ». Anti-dreyfusard, nationaliste et revanchard, Massis est très tôt attiré par Charles Maurras et l’Action française. Dans CHEFS. LES DICTATEURS ET NOUS (1939), il publie la transcription d’un entretien qu’il a eu avec Benito Mussolini et il se prononce en faveur de la doctrine fasciste. Il manifeste également son appui à Salazar, dont les idées sont proches de celles de Maurras, et à Franco. Engagé aux côtés des intellectuels fascistes, Henri Massis fut l’un des principaux rédacteurs du « Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe », publié en octobre 1935 en soutien à la politique d’expansion mussolinienne. Il se rallia, après la défaite de 40, au maréchal Pétain, et occupa un temps un poste de chargé de mission au secrétariat général de la Jeunesse. Son activité ne se ralentit pas après la guerre ; militant à l’Union des intellectuels indépendants, il collabore à de nombreux journaux et revues d’extrême-droite comme ASPECTS DE LA FRANCE, LA NATION FRANÇAISE, ITINERAIRES.
On notera avec intérêts que dans DEFENSE DE L’OCCIDENT, MASSIS dénonçait particulièrement des éléments importants de la « tentation nationale-bolchévique », notamment « l’orientation à l’Est », s’en prenant à « l’orientation de plus en plus extra-européenne de l’Allemagne, ses accointances grandissantes avec des mouvements venus de l’Est, comme le bolchévisme et l’irrationnalisme asiatique ». Massis « désignait l’Est comme source de tous les dangers: la dérive irrationnelle de l’Allemagne, sa collusion de facto avec le bolchévisme perçue par Massis comme une resucée du panslavisme irrationnaliste ».
MANDEVILLE s’inscrit donc bien en droite ligne dans cette tendance initiée par l’extrême-droite fasciste des Années 1920-45, pour laquelle, comme l’écrivait MASSIS, « le danger vient de l’Est ».
(7) ) Cfr : Walter LAQUEUR, WEIMAR, A CULTURAL HISTORY, 1918-1933, London, Weidenfeld and Nicolson, 1974;
WEIMAR, UNE HISTOIRE CULTURELLE DE L’ALLEMAGNE DES ANNEES 20, Paris, Robert Laffont, 1978;
BLACK HUNDREDS: THE RISE OF THE EXTREME RIGHT IN RUSSIA, New York : HarperCollins, 1993;
DER SCHOSS IST FRUCHTBAR NOCH. DER MILITANTE NATIONALISMUS DER RUSSISCHEN RECHTEN, Kindler, München, 1993;
Et HISTOIRE DES DROITES EN RUSSIE. DES CENTURIES NOIRES AUX NOUVEAUX EXTREMISTES, Éditions Michalon, 1996;
Walter Zeev LAQUEUR, né le 26 mai 1921 à Breslau en Allemagne (l’actuelle Wrocław en Pologne) d’une famille juive, est un historien américain et un éditorialiste politique. En 1938 Laqueur quitte l’Allemagne pour la Palestine mandataire. Ses parents, qui ne pouvaient pas partir, moururent durant la Shoah. Il a vécu en Palestine/Israël entre 1938 et 1953 et depuis au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Il a été directeur de l’Institut d’Histoire contemporaine et de la bibliothèque Wiener à Londres de 1965 à 1994. Il a fondé et édité le Journal of Contemporary History avec George Mosse, Survey de 1956 à 1964 et les Washington Papers. À partir de 1969 il est membre, puis président (jusqu’en 2000), de l’International Research Council CSIS Washington. Il a été professeur de l’histoire des idées à l’Université de Brandeis de 1968 à 1972 et professeur à l’Université de Georgetown de 1976 à 1988. Il a été professeur affilié d’histoire et de politique à Harvard, à l’Université de Chicago, à l’Université de Tel Aviv et à l’Université Johns Hopkins.
(8) Cfr. Marlène LARUELLE, LE ROUGE ET LE NOIR, avec M. Gabowitsch, M. Mathyl, E. Moroz, V. Pribylovski, V. Shnirelman, A. Tarasov, A. Umland. – CNRS Editions, Paris, 2007.
(9) Cfr. La pertinente critique de J.M. CHAUVIER, « Cette Russie qu’occultent les clichés », dans LE MONDE DIPLOMATIQUE, Mars 2008 , qui démonte les amalgames à la Taguieff de Marlène LARUELLE dans LE ROUGE ET LE NOIR :
« Une Russie « rouge et noire », sinon « rouge-brune » ? Certains opposants russes la qualifient déjà de « fasciste », voire de « nazie ». Se référant à Pierre André-Taguieff, un ouvrage dirigé par Marlène Laruelle cible le « nationalisme russe », un concept flou pour un phénomène disparate : l’auteur prétend réunir, sans les confondre, l’étatisme traditionnel en Russie (dont le « patriotisme économique » actuel) et le nationalisme ethnique ou raciste, relativement inédit et marginal. Décrit en cercles concentriques, le champ politique nationaliste est à nouveau central, avec des hommes de pouvoir tels que M. Poutine ou M. Evgueni Primakov. La présentation du deuxième cercle repose sur un amalgame entre le Parti communiste de M. Guennadi Ziouganov (qu’un auteur classe à l’extrême droite), la formation « plus anticommuniste » (sic) de M. Vladimir Jirinovski et la mouvance pluraliste Rodina. Le troisième cercle englobe l’Unité nationale russe (M. Alexandre Barkachov) et le Parti national-bolchevique (M. Edouard Limonov), l’un et l’autre classés « néofascistes » (…) Enfin, il y a la périphérie, une sombre forêt où pullulent les oiseaux exotiques de mauvais augure : hitlériens, eurasiens, néopaïens, « aryanistes » ouvertement racistes. Plusieurs auteurs, très érudits, prétendent voir des « origines soviétiques » à toutes ces espèces. Leur influence serait réelle dans les sphères dirigeantes, que pourrait séduire une « utopie antioccidentale », en particulier l’eurasisme prôné par le redoutable Alexandre Douguine, figure emblématique de la « nouvelle droite » russe, liée à son homologue européenne (…)
A cet ouvrage, il manque peut-être un chapitre, significativement absent de tous les livres sur les extrémismes. Il nous parlerait de l’intégrisme néolibéral – du type Aslund-Sachs-Gaïdar (ou Hayek-Friedman-Pinochet) : la séduction qu’il a exercée sur les démocrates russes et les violences qu’il a infligées à la société postsoviétique ont précédé les réactions stigmatisées comme « nationalistes » ou « populistes ». Il eût été intéressant, par ailleurs, d’expliquer le ralliement du parti de M. Limonov (officiellement interdit depuis avril 2007) à la mouvance L’Autre Russie de l’ancien champion du monde d’échecs et très libéral Garry Kasparov, soutenu par la fondation américaine National Endowment for Democracy. Sur toutes leurs manifestations anti-Poutine, en 2007, flottait le drapeau national-bolchevique que Marlène Laruelle et son éditeur ont choisi pour la couverture de leur livre, bien que cet exhibitionnisme politique ne puisse qu’ajouter à la confusion (Ressemblant au drapeau nazi, rouge avec un cercle blanc, mais affublé d’une symbolique communiste, il affiche, au centre, non pas la croix gammée, mais une faucille et un marteau). »
(10) Cfr. Vidosav STEVANOVIC, MILOSEVIC, UNE EPITAPHE, Fayard, Paris, 2000.
(11) Sur la IIIe Yougoslavie, laboratoire du National-communisme :
Cfr. sur LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY/
GEOPOLITIQUE RETROSPECTIVE : LE DEFI DE LA YOUGOSLAVIE DE MILOSEVIC (LES GUERRES DE YOUGOSLAVIE II)
Sur le National-communisme :
Cfr. Luc MICHEL, L’ALTERNATIVE NATIONAL-COMMUNISTE, MYTHES ET REALITES DU NATIONAL-BOLCHEVISME 1918-1993, Editions Machiavel, Bruxelles, 1ère édition 1991, 2e édition, 1995.
Traductions en Anglais, Italien, Espagnol et Portuguais.
(12) J’évoque aussi ce « processus de transition » à propos de la Libye de Kadhafi.C’est effectivement le même processus qui a détruit la Jamahiriya libyenne de Kadhafi. Détruite sur un scénario qui rappelle étroitement la Yougoslavie et ce n’est pas un hasard.
La Libye aussi, depuis 2003, avait une aile libérale, opposée à celle des socialistes patriotes. Celle rassemblée derrière Saïf Al Islam, qui a amené libéraux et islamistes (comme le président du pseudo CNT Abdeljalil) au pouvoir. Il faut lire les pages révélatrices de Bernard-Henry Levy sur Saïf dans son livre d’auto-propagande personnelle « LA GUERRE SANS L’AIMER », où il pose la question qui choque : « comment celui qui était des nôtres (l’expression est de lui) a-t-il pu rejoindre son père ? »… Là le régime a aussi été déstabilisé et attaqué de l’intérieur. Avant que les bombes, les armées et les mercenaires de l’OTAN et des USA ne viennent finir le travail. J’ai vécu de l’intérieur cette prise de la Libye, aux côtés de nos camarades socialistes du MCR (dont je dirigeais le Réseau paneuropéen). J’ai vu comment les illusions de Tripoli sur la coexistence pacifique et l’économie globalisée ont permis aux libéraux libyens de se constituer en Cheval de Troie et de préparer l’assaut extérieur.
(13) Sur le processus de transition, au Belarus, en Yougoslavie et en Libye notamment, j’ai donné récemment une longue analyse intitulée “Le Modèle du Belarus comme alternative à la Globalisation”, à Minsk, le 5 mai 2011, à l’occasion de la Conférence internationale “THE PROSPECTS OF THE EASTERN PARTNERSHIP”. Elle a été filmée pour PCN-TV et est disponible sur son site :
Voir sur PCN-TV/
International conference “The prospects of the Eastern partnership” (Minsk 5.05.2011)/
Conférence de Luc MICHEL (PART.1 – 2 – 3),
sur “Le Modèle du Belarus comme alternative à la Globalisation”
http://www.dailymotion.com/video/xjjkaz
(Sources : PCN-SPO – Archives du PCN – EODE Think-Tank)
Photos :
L’Empire euro-sovietique, visuel russe de 1992.
Visages du National-communisme : Andropov (PCUS), Milosevic (SPS), Ziouganov (KPRF).
LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE
* Avec le Géopoliticien de l’Axe Eurasie-Afrique :
Géopolitique – Géoéconomie – Géoidéologie – Géohistoire –
Géopolitismes – Néoeurasisme – Néopanafricanisme
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