LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/
2017 12 19/
Stratège averti, Poutine a choisi le bon moment pour se rendre en Égypte et en Turquie. Celui où la diplomatie russe, appuyée sur sa victoire militaire en Syrie et les errements de l’administration turque, fait bouger toutes les lignes géopolitiques …
PARTIE II-
LE BOULEVERSEMENT DES LIGNES GEOPOLITIQUES
Au cours de ses visites au Caire et à Ankara, le président russe Vladimir Poutine a évoqué avec les responsables des pays hôtes, des questions d’intérêts communs et la situation en Syrie, mais aussi, et surtout, des questions liées à la décision de Donald Trump de déclarer Qods capitale d’Israël. En outre, la récente visite du président Soudanais à Moscou et l’action reusse en Libye s’inscrivent dans cette offensive diplomatique.
EGYPTE – TURQUIE : EBRANLER LES ALLIANCES AMERICAINES
Se référant aux informations fournies par le Kremlin, l’agence russe Itar-Tass s’attarde sur les enjeux de cette tournée d’un seul jour qui a amené ce lundi 11 décembre le président Poutine dans deux pays de la région à savoir l’Égypte et la Turquie. Les Russes réfléchissant à « élargir les relations avec l’Égypte » …
Les coopérations politico-économiques bilatérales et les efforts dans le sens de la stabilisation au Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, mais aussi les évolutions de la Syrie ont été au centre des entretiens de Vladimir Poutine avec ses homologues égyptiens et turcs qui se sont également penchés sur la situation provoquée suite à la reconnaissance unilatérale, par Trump, de Jerusalem comme capitale d’Israël, décision qui devrait entraîner, à l’avenir, le déplacement de l’ambassade américaine, de Tel-Aviv à Jerusalem.
La visite de Vladimir Poutine dans ces deux importants pays de la région intervient à peine quelques jours après une annonce importante faite par le locataire du Kremlin sur la guerre en Syrie. Poutine avait annoncé, ce mercredi 6 décembre, que les « terroristes de Daech avaient été complètement éradiqués sur les deux rives de l’Euphrate en Syrie ».
Avant sa tournée de ce 11 décembre au Caire et à Ankara, la visite la plus récente en date de Vladimir Poutine dans ces deux pays datait de février 2015 en parlant de l’Égypte et de septembre 2017 en parlant de la Turquie.
LA QUESTION DE JERUSALEM :
POUTINE ET TRUMP, RESPECTIVEMENT PROTECTEUR ET DESTABILISATEUR DU MOYEN-ORIENT
Lors de ses entretiens avec les dirigeants égyptiens et turcs, le président russe a critiqué la décision américaine concernant la ville de Jerusalem et « a montré au monde musulman qu’il était un « allié fiable » pour eux » (selon la presse iranienne).
« Après la question syrienne, c’est le sujet de Qods qui a été au centre des discussions d’hier du président russe Vladimir Poutine lors de sa rencontre avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi au Caire puis lors de son entretien avec Recep Tayyip Erdogan, le président turc à Ankara », a écrit le journal russe Nezavissimaïa Gazeta dans un article. « Le statut de la ville historique et sacrée de Jerusalem aussi bien pour les musulmans que les chrétiens est devenu aujourd’hui après des décennies de silence la question numéro un des débats internationaux, d’autant plus que le monde est quasiment débarrassé du groupe terroriste Daech ».
Erdogan (qui surfe à sa manière opportuniste sur le dossier pour prendre la tête de la colère musulmane) a déclaré lors de sa conférence de presse conjointe avec Vladimir Poutine : « Avec sa nouvelle action, Washington s’est rendu complice des crimes israéliens en Palestine. » Le président russe a également annoncé lors de cette conférence de presse conjointe avec Erdogan que « la décision de Donald Trump sur Jerusalem n’allait non seulement pas dans le sens de la résolution de la crise au Proche-Orient, mais qu’elle concourait au contraire à déstabiliser un peu plus la région et portait même atteinte à la perspective des pourparlers de paix entre les Palestiniens et les Israéliens ». Et selon Poutine, un accord sur Jerusalem ne « sera possible que lors de négociations directes entre les Palestiniens et les Israéliens ».
Il convient de noter que la visite de Poutine en Syrie, en Égypte et en Turquie visait initialement à annoncer l’achèvement des opérations militaires russes sur le territoire syrien, raison pour laquelle il n’est pas surprenant qu’elle ait commencé en Syrie et sur la base militaire de Hmeimim. Le président russe a rencontré le président syrien Bachar al-Assad et a ordonné le retrait des troupes militaires russes du pays. Puis, au Caire et à Ankara, il a reçu le soutien de ses homologues concernant les actions de Moscou dans la région du Moyen-Orient.
Dans les milieux des experts occidentaux, la décision de Poutine de se rendre en Égypte et en Turquie n’a pas été motivée par l’évolution de la situation en Syrie, mais plutôt par la dégradation de la situation à Jerusalem après la décision très controversée de Donald Trump. Michael Horowitz, expert du Moyen-Orient et professeur à l’Université de sciences politiques de Pennsylvanie, a déclaré : « Après que Donald Trump a annoncé reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël et après la secousse provoquée par cette décision dans le monde musulman, Vladimir Poutine tente maintenant de jouer le rôle d’un allié fiable et d’un partisan des pays musulmans. C’est précisément pour cette raison qu’il a pris la parole sur ce sujet lors de ses rencontres avec les dirigeants égyptien et turc et qu’il a dénoncé la décision américaine.»
Alexeï Pochkov, un sénateur russe, a quant à lui affirmé : « Alors que le président des États-Unis a semé une fois de plus la violence et l’instabilité au Moyen-Orient en déclarant Jérusalem capitale d’Israël, le président russe a montré, en ordonnant le retrait des troupes russes de Syrie, qu’il était en quête de paix et de stabilité pour cette région. La différence entre ces deux attitudes n’échappe à personne. »
LA QUESTION DE JERUSALEM A LAISSE LE CHAMPS LIBRE A LA RUSSIE EN EGYPTE
En février 2015, le président russe Vladimir Poutine s’était rendu au Caire pour y rencontrer son homologue égyptien, Abdel Fatah al-Sissi. La visite avait été de loin un franc succès à tel point que certains médias occidentaux étaient allés jusqu’à évoquer « la réouverture d’une ancienne base soviétique en Égypte, sur le littoral de la Méditerranée ». Par la suite, al-Sissi s’en est allé à trois reprises à Moscou pour consolider ce qui a tout pour ressembler à un partenariat durable russo-égyptien, comme au bon vieux temps de l’époque de Ghamal Abdel Nasser.
Au Caire, Poutine comptait donc enfoncer les clous et il a réussi sa mission vu le nombre de contrats signés de part et d’autre. Mais il y a eu plus que cela : le redoutable « inverseur de situation (dit le presse russe) qu’est Poutine a sans doute bien ri dans sa barbe quand il a entendu le balourd président US annoncer la ville palestinienne et musulmane de Qods capitale de l’entité d’Israël ».
COMMENT LES ERREURS DE L’ADMINISTRATION US RENDENT SERVICE A LA RUSSIE ?
Le journal Al Qods al-Arabi s’intéresse dans un récent article à la décision unilatérale de Trump sur la ville de Qods et fait le constat que « cette décision a rendu le plus grand service au président russe Vladimir Poutine » :
« Les guerres déclenchées contre la Syrie, l’Irak, le Yémen et la Libye n’ont pas tant servi les intérêts d’Israël que ceux de la Russie. À vrai dire, les guerres menées contre chacun de ces pays ont largement affaibli les armées arabes qui tenaient tête à Israël et pourtant les Américains sont loin d’en tirer profit », affirme le journal qui revenait sur la visite de 24 heures de Poutine en Syrie, en Égypte et en Turquie.
« Si Trump n’avait pas reconnu la ville de Qods comme capitale d’Israël, si son annonce n’avait pas eu lieu avant la tournée de Poutine, cette tournée-là n’aurait jamais eu le succès retentissant qu’elle a eu. La visite éclair de M. Poutine s’est déroulée sur fond des pourparlers de Genève et des menaces formulées par l’émissaire onusien Di Mistura contre l’opposition syrienne. Di Mistura est allé même jusqu’ à affirmer qu’il irait remplacer le processus de Genève par le processus d’Astana. Personne n’est dupe. Poutine semble s’être armé de ses accords « en coulisse » avec Trump qui tend de se retirer totalement du dossier syrien. Poutine paraît de plus en plus seul aux commandes », poursuit le journal.
Qui se livre ensuite à une synthèse des étapes de la visite du président russe dans la région :
« Il est vrai que l’homme fort du Kremlin a forgé de solides relations avec l’Iran autour du dossier syrien. En Égypte, Poutine s’est attiré les faveurs enthousiastes de Sissi en promettant de construire une centrale nucléaire. Ses seules promesses de contrôler « les Kurdes de Syrie » ont suffi par ailleurs à assurer Ankara. Mais le hasard a voulu que le succès du candidat indépendant à la présidentielle 2018 soit plein et entier. En s’opposant à l’annonce américaine au sujet de Qods, Poutine s’est imposé en défenseur de la cause arabe et palestinienne, et ce, au détriment de l’Amérique qui s’est de fatco supprimée du dossier », note le journal.
LES RAISONS DE L’ESCALE SYRIENNE DANS LA PERSPECTIVE GLOBALE PROCHE-ORIENTALE
Sans prévenir les médias, Poutine a donc décidé de faire une escale en Syrie et plus précisément à Lattaquié, là où la Russie a planté en 2014 sa base aérienne pour envoyer ses Topolev et ses Sukhoï bombarder les positions des terroristes djihadistes. Assad a reçu Poutine et les deux hommes ont rencontré les officiers russes en mission en Syrie.
Pourquoi cette escale ?
Pour de nombreux analystes, Poutine a voulu d’abord répondre à la France qui par voix de son ministre des Affaires étrangères, a refusé en bloc de reconnaître le rôle de la Russie dans la défaite de Daech. Jean-Yves Le Drian a accusé Poutine de « s’être accaparé » de la victoire contre le terrorisme (sic) dont les mérites reviennent, selon ses termes, à « la coalition internationale » (resic). En Occident personne n’a contesté l’énorme décalage qui existe entre les propos de M. Le Drian et la réalité. Mais en Russie, la pilule a du mal à passer : C’est sans doute en réponse à cette « infamie » que l’homme fort du Kremlin a fait sa halte syrienne pour rappeler à la bonne mémoire des Français et des Américains que sans les bombes russes, al-Nosra, Daech et Cie, que défendaient avec ardeur Laurent Fabius et François Hollande, auraient peut-être mis encore longtemps avant de totalement disparaître non pas seulement de la Syrie, mais aussi du sol français.
Mais la mission de Poutine ne se réduit pas à cette réponse. À Lattaquié, il a annoncé le retrait des militaires russes comme pour réaffirmer noir sur blanc que la « Russie n’est pas de ceux qui abandonnent leurs alliés en cours de route ». « Il y a tout un message pour les régimes arabes à percevoir à travers ce geste (commente la presse iranienne) : En reconnaissant Jerusalem comme capitale d’Israël, Trump a ouvert une énorme brèche, une de plus, où il compte sans doute s’engouffrer aux dépens des États-Unis. Car tout compte fait, ces derniers se sont volontairement éliminés de l’équation proche-orientale en faisant le coup de Qods. Et ce n’est sans doute pas l’Égypte d’al-Sissi ou la Jordanie d’Abdellah, voire même l’AP d’Abbas qui lui refuseraient ce rôle ».
ZAKHAROVA : « IL FAUT RELANCER LE PROCESSUS DE PAIX AU MOYEN-ORIENT »
La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a annoncé qu’elle était « inquiète concernant les tensions actuelles au Moyen-Orient suite à la décision très controversée de Donald Trump sur la ville de Jerusalem ».
« Moscou prend très au sérieux la situation dans la région, qui a été causée par la décision controversée de l’administration américaine concernant Jerusalem », a déclaré Zakharova, avant d’ajouter : « Nous sommes convaincus que la sortie de l’impasse de la violence et des tensions ne peut passer que par un redémarrage des pourparlers entre Israël et la Palestine afin de parvenir à une solution efficace et, bien sûr, durable au conflit [israélo-palestinien] sur la base des décisions bien connues de la communauté internationale. » « Nous partirons du fait que toutes les parties intéressées doivent faire preuve de retenue et s’abstenir de toute action qui pourrait affecter des personnes innocentes et compromettre les perspectives de paix, de justice et de sécurité pour tout le monde dans cette région », a poursuivi Maria Zakharova.
La diplomate russe a rappelé à cet égard que la décision du président américain Donald Trump, le 6 décembre, de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jerusalem avait déclenché une série de manifestations dans les territoires palestiniens de Cisjordanie, y compris à Jerusalem-Est et dans la bande de Gaza. Le ministère russe des Affaires étrangères a rappelé que jusqu’à présent, quatre Palestiniens avaient été tués et environ 2 000 autres blessés et que des manifestations de masse étaient en cours dans d’autres pays arabes et musulmans.
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