Premier pays à se retirer de la Cour pénale internationale, le Burundi a provoqué une onde de choc, ouvrant la voie à deux autres Etats africains, l’Afrique du Sud puis la Gambie. Pour mieux comprendre les raisons d’une telle décision, Ivoire Justice a rencontré Vestine Nahimana, l’ambassadrice du Burundi à La Haye.
L’annonce a été rendue publique le jeudi 27 octobre : le Burundi a notifié formellement aux Nations unies sa décision de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI). Une notification qui fait suite à l’adoption d’une loi par le parlement le 12 octobre et promulguée six jours plus tard par le président Nkurunziza. Conformément aux procédures en vigueur, le retrait du Burundi sera donc effectif d’ici un an. Cette décision de quitter la CPI est intervenue après le lancement d’une enquête du bureau de la procureure sur la crise électorale burundaise. Fin avril 2016, Fatou Bensouda avait en effet décidé d’ouvrir un examen préliminaire sur les violences et les crimes commis depuis avril 2015. Selon les chiffres de la CPI, plus de 430 personnes auraient été tuées, 3 400 personnes arrêtées et plus de 230 000 Burundais contraints de se réfugier dans des pays voisins.
Vous avez annoncé votre intention de vous retirer de la CPI suite à l’ouverture d’une enquête concernant les événements de 2015. Avez-vous tenté de dialoguer avec la Cour avant d’opter pour cette option ?
Le Burundi est endeuillé depuis son indépendance. La communauté internationale n’a jamais cherché à enquêter pour savoir qui avait tué le héros de notre indépendance. En 1972, il y a eu des massacres d’une ethnie par une autre ethnie. Où était la communauté internationale ? De nouveau en 1993, un président issu de la majorité, élu de façon légitime, a été assassiné trois mois après sa prise de fonction par la minorité. Nous attendons toujours la justice. Lorsque Fatou Bensouda a déclaré qu’un examen préliminaire allait être ouvert, le peuple burundais a exprimé son mécontentement, car il s’est rendu compte que la déclaration était circonscrite à une certaine période. Nous refusons que la CPI vienne enquêter sur les infractions commises lors d’une seule année alors que le Burundi a été endeuillé pendant plus de quarante ans. Pendant tout ce temps, des milliers de vies humaines ont été injustement emportées et les tribunaux internationaux n’ont jamais rien dit ou fait. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas le gouvernement qui a réclamé en premier le retrait de la CPI, c’est le peuple !
Empêcher la CPI d’enquêter ne risque-t-il pas d’entretenir une culture de l’impunité ?
Le Burundi a mis en place des mécanismes de justice transitionnelle que nous appelons CVR, Commission vérité réconciliation. Toutes ces commissions sont en train de travailler correctement et les Burundais sont satisfaits. Nous avons compris que ce n’est pas la justice qui donnera la paix au Burundi, c’est plutôt le pardon. Nous voulons enquêter pour connaître la vérité sur tous ces massacres commis depuis des années et inciter les gens à se réconcilier. Le Burundi est un pays qui met en avant le dialogue et qui a obtenu, grâce à cela, des résultats palpables.
Allez-vous également privilégier le dialogue plutôt que les condamnations dans le cadre des événements de 2015 ?
Il faut faire la différence entre les commanditaires et les exécutants. Il y a certaines personnes avec qui on peut dialoguer, ceux qui ont été induit en erreur et qui ont fui par peur, notamment. Aujourd’hui, nous leur disons : rentrez, vous êtes les enfants du pays. Nous avons sauvegardé vos biens, nous allons assurer votre sécurité et vous réintégrer. Mais pour les putschistes, il n’y a pas de pardon. Certains doivent être punis absolument.
Ne faites-vous pas confiance à la CPI pour enquêter de manière impartiale sur ces événements ?
Ce n’est pas qu’on ne fait confiance à la CPI. Mais ce que l’on constate, c’est qu’un groupe de personnes, des manifestants qui étaient de connivence avec le coup d’Etat, ont fui le pays et cherchent depuis à instrumentaliser l’opinion internationale pour retourner l’attention sur eux. Ils se présentent comme des victimes alors que ce sont eux qui ont endeuillé le pays. Par ailleurs, nous avons expliqué à maintes reprises que le Burundi épouse le principe de la complémentarité. La CPI ne peut intervenir que si, et seulement si le Burundi n’est pas en train de travailler.
Pourquoi le Burundi a-t-il ratifié le Statut de Rome s’il n’était pas prêt à laisser la CPI mener des enquêtes sur son territoire ?
Ce n’est pas le pouvoir en place qui a signé. Il n’aurait pas signé car le Statut de Rome prévoit de ne travailler que sur les crimes commis à partir de 2003. Le Burundi qui se retire de la CPI n’est pas celui qui a signé !
Vous ne croyez pas à la justice internationale et aux principes du Statut de Rome ?
Nous croyons aux principes. La preuve, le Burundi se les est appropriés pour mener des réformes en matière de justice. Par exemple, nous avons voté une loi en ce qui concerne la protection des victimes et des témoins afin d’être en conformité avec le Statut de Rome. Nous avons toujours coopéré jusqu’à maintenant. Mais le problème du Statut de Rome, c’est son manque de rétroactivité. Dans ces conditions, à quoi bon ?
Le Burundi ne reviendra pas sur sa décision, sous aucun prétexte ?
Je ne sais pas encore. Est-ce que la CPI va revenir sur sa décision de poursuivre les enquêtes ? Est-ce que la CPI va demander l’amendement du Statut de Rome pour enquêter de façon rétroactive ? Si c’était le cas, nous pourrions commencer à écouter un peu.
(Source : Ivoire Justice)