« Dans une étude parue en juillet 2021, portant sur « les pratiques et récits d’influences informationnelles russes en Afrique subsaharienne », le chercheur français Maxime Audinet a montré qu’en 2020, avec 16 628 visites par mois, le Mali est de loin le pays d’Afrique francophone où le site Russia Today France a été le plus consulté. Durant la même période, l’audience de Sputnik France a fortement crû dans le pays, avec 107 360 visites par mois, juste derrière le Cameroun. »
Maxime Audinet a été est chercheur au Centre Russie/NEI de l’Ifri entre 2018 et 2020. Ses recherches portent sur l’influence extérieure de la Russie post-soviétique et son interprétation du « soft power », à travers les pratiques et les acteurs d’une politique de diplomatie publique reconfigurée par le gouvernement au milieu des années 2000 (médias internationaux, diplomatie culturelle). Il a réalisé dans ce cadre plusieurs terrains de recherche en Russie et a enseigné à Sciences Po Paris et à l’Université Paris Nanterre de 2016 à 2018. Ses recherches actuelles portent sur les acteurs, les pratiques et les modes de diffusion de l’influence en contexte autoritaire, en particulier dans les champs médiatique et informationnel. Elles prolongent ses travaux doctoraux sur la sociologie de la diplomatie publique russe à l’ère post-soviétique.
#1-
« LE LION, L’OURS ET LES HYÈNES ».
ACTEURS, PRATIQUES ET RÉCITS
DE L’INFLUENCE INFORMATIONNELLE RUSSE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE (EXTRAITS)
(Juillet 2021, Étude 83, IRSEM, Maxime Audinet)
« Après un désengagement brutal à la chute de l’Union soviétique, la Russie reprend pied en Afrique depuis la fin des années 2000. En octobre 2019, le sommet de Sotchi a matérialisé ce retour en force. Si la coopération militaro-technique est le principal marqueur de cette présence rehaussée, l’influence
informationnelle déployée par la Russie sur le continent mérite une attention particulière, tant son empreinte s’est élargie et diversifiée ces dernières années. Cette étude met en lumière ses pratiques et son écosystème disparate, ainsi que les contenus
produits et diffusés par ses acteurs étatiques, non étatiques et sous-traitants en Afrique subsaharienne francophone. Alors que le président de la République a dénoncé fin 2020 la manière dont
Moscou « jou[ait] sur le ressentiment post-colonial » en Afrique pour y attiser un sentiment antifrançais, nous examinons les efforts de diplomatie publique, les opérations de désinformation et les « entreprises d’influence » conduites par les acteurs russes à des fins de dénigrement ou de légitimation. L’étude
propose une méthode originale fondée sur l’analyse textuelle et lexicométrique, à partir de deux cas emblématiques : la couverture de l’opération Barkhane et le traitement des actualités en
République centrafricaine.
« UNE POLITIQUE AFRICAINE DE LA RUSSIE DOMINÉE PAR SON HARD POWER »
Après un retrait progressif durant la perestroïka et un désengagement brutal à la chute de l’Union soviétique, la Russie a repris pied sur le continent africain depuis la fin des années 2000, principalement dans le domaine de la coopération militaro-technique. Dans le contexte de la crise ukrainienne et des sanctions occidentales émises à la suite de l’annexion de la Crimée, cette présence réhaussée a d’abord été motivée par la nécessité pour la Russie de trouver de nouveaux partenaires économiques. En octobre 2019, le sommet Russie-Afrique de Sotchi a été l’occasion de matérialiser ce retour en force, alors que l’Afrique occupait une place marginale dans la dernière doctrine russe de politique étrangère de 2016. Moscou s’y est affiché aux yeux des 43 chefs d’État et de gouvernement africains présents comme un partenaire économique pragmatique (à commencer par le marché de l’armement), un prestataire de sécurité compétent
dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, ainsi qu’une digue contre les tentatives de déstabilisation – « printemps arabes », « révolutions de couleur » ou renverse ment des régimes en place – aiguillonnées par les pays occidentaux.
Le groupe Wagner, dont les mercenaires ont été identifiés au Soudan et en RCA dès 2018, est aujourd’hui l’un des acteurs les plus emblématiques de cette coopération. En revanche, l’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde où les capacités de soft power de la Russie et son dispositif de diplomatie publique sont les moins développés. Moscou cherche encore à faire fructifier l’héritage immatériel de son soutien aux luttes anticoloniales et anti-impérialistes pendant la guerre froide ; mais sa diplomatie culturelle repose essentiellement sur les structures vieillissantes des sociétés d’amitié Soviétiques (…) Le maillage de l’écosystème médiatique international mis sur pied par la Russie à partir du milieu des années 2000, sur lequel nous revenons dans cette étude, est aussi beaucoup moins dense en Afrique subsaharienne que d’autres régions, y compris en Afrique du Nord. Depuis une
dizaine d’années, en revanche, les universités russes, à commencer par celle de l’Amitié des peuples (RUDN), accueillent chaque année entre 7 000 et 9 000 étudiants originaires d’un pays d’Afrique subsaharienne, soit un niveau comparable à celui des
années 1980 (…)
« L’INFLUENCE INFORMATIONNELLE RUSSE EN AFRIQUE : ÉTAT DE LA RECHERCHE »
À cheval sur les puissances « douce » et « dure », l’influence informationnelle de la Russie en Afrique, de même qu’en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, a été relativement peu étudiée jusqu’à une période récente. La situation peut sembler paradoxale à double titre. D’une part, les États du tiers-monde représentaient une cible prioritaire de la propagande et des opérations informationnelles qui accompagnaient l’expansion politique et idéologique de l’Union soviétique durant la guerre froide ;
l’opportunité pour la Russie post-soviétique de s’appuyer sur ce savoir-faire historique et de réactiver ses méthodes mérite d’être interrogée, parallèlement à la relance de sa politique africaine.
D’autre part, même si l’espace post-soviétique, les pays occidentaux et le Moyen-Orient sont aujourd’hui les principaux espaces de projection de la diplomatie publique russe, ses acteurs manifestent l’ambition de l’étendre sur le continent africain depuis le milieu des années 2010, sans toutefois en détailler les réalisations objectives.
Des travaux précurseurs ont été menés depuis 2018. Kevin Limonier a ainsi proposé une cartographie de la propagation des contenus francophones produits par RT et Sputnik – les deux principaux ,représentants de l’audiovisuel extérieur public de
la Russie – sur les réseaux numériques africains. Limonier établit une typologie des « relais informationnels » (plateformes d’intermédiation, agrégateurs de contenus, sites généralistes
ou militants, blogs) qui reprennent les contenus produits par ces deux médias, dopent leur visibilité et accroissent leur notoriété en Afrique. Dans un contexte de numérisation généralisée de la presse sensationnaliste – ou « presse jaune » – en Afrique la majorité des 622 sites identifiés relaie les articles de RT et Sputnik de manière indistincte, à des fins lucratives ou d’autolégitimation, et les considère comme des sources « normales ». D’autres le font de manière plus active, par affinité éditoriale ou pour appuyer un agenda politique local, notamment en Algérie, au Cameroun ou en Côte d’Ivoire18. Citons, parmi les sites-relais généralistes populaires, mediacongo.net en République démocratique du Congo (RDC), bamada.net au Mali ou senegalinfos.com au Sénégal ; et parmi les sites militants, « alternatifs » ou complotistes, afriquemedia.tv (le site de la chaîne anti-impérialiste se réclamant du panafricanisme Afrique Media, installée à
Douala et très critique de la présence française) et africa24.info (très consulté en Côte d’Ivoire). Cette étude prolonge ce « premier déblayage » en mettant en lumière l’écosystème hétérogène de l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone (ASF), ainsi que les contenus produits et diffusés par ses acteurs.
Nous soulevons trois questions de recherche. Sur quelles pratiques d’influence la Russie s’appuie-t-elle dans l’espace informationnel africain. Kevin Limonier, « Diffusion d francophone (Q1) ? Quels récits20 dominent dans les contenus produits, notamment lorsqu’il s’agit de couvrir la présence française et la présence russe dans la région (Q2) ? Les jugements de valeur et les tonalités utilisés varient-ils en fonction de la place des producteurs de contenus sur le spectre de l’influence informationnelle (voir infra) (Q3) ?
« LE CADRE INSTRUMENTAL : DIPLOMATIE PUBLIQUE, PROPAGANDE ET OPÉRATIONS INFORMATIONNELLES »
L’influence informationnelle – à ne pas confondre avec le même concept inventé par Deutsch et Gerard en psychologie sociale – est une notion instrumentale empruntée au champ académique et au discours politique russes [informatsionnoïe vozdeïstvie]. Très utilisée dans les dernières doctrines, elle présente
l’avantage d’embrasser l’ensemble des pratiques d’influence qui mobilisent des ressources et des technologies informationnelles pour atteindre une cible ou obtenir un résultat. Nous en proposons ici une représentation spectrale, inspirée des travaux de Steven Lukes et Joseph Nye sur les « trois faces »
de la puissance et le soft power. Ce spectre de l’influence informationnelle s’étend de ses modes de conduite les plus coercitifs aux plus incitatifs et intègre les pratiques et les acteurs qui leur sont associés. Malgré son caractère parcellaire, ce schéma pourrait servir de base à un effort de typologie plus détaillé.
L’étendue des pratiques étudiées dans ce travail sur l’influence informationnelle russe en ASF concerne la diplomatie publique médiatique et la propagande. La diplomatie publique médiatique désigne les « efforts planifiés d’un gouvernement pour influencer une opinion publique étrangère à travers des canaux médiatiques, y compris des médias rétribués, acquis, possédés ou partagés, dans le but de susciter une adhésion à ses objectifs de politique étrangère » (Guy J. Golan, et al., « Mediated Public Diplomacy Redefined: Foreign Stakeholder Engagement via Paid, Earned, Shared, and Owned Media », American Behavioral Scientist, 63:12, 2019, p. 1670). La diplomatie publique et la propagande ont le même objectif mais se distinguent sur le mode de communication à l’œuvre. Alors que la propagande est un processus à sens unique, qui verrouille chez son destinataire toute possibilité de réponse et de délibération, la diplomatie publique est une « rue à double sens », un processus de persuasion par le dialogue et l’interaction, selon Jan Melissen (« Wielding Soft Power: The New Public Diplomacy »,
Clingendael Diplomacy Papers, 2, mai 2005, p. 19-22). Rhonda Zaharna ajoute que la propagande manipule délibérément son message en dissimulant certains aspects et en forçant son audience à accepter le message ; plus transparente, la lesquels jouent les médias russes internationaux, ainsi que la partie la plus visible des opérations d’influence et de désinformation menées par les acteurs russes en ASF. Ces pratiques sont celles qui produisent le plus de données accessibles pour le chercheur. Si celles-ci prennent majoritairement place dans l’espace numérique, d’autres canaux traditionnels sont abordés, comme la télévision et la radio.
Nous revenons sur la place qu’y occupe l’écosystème médiatique d’État russe et sur CERTAINES « ENTREPRISES D’INFLUENCE », MENEES EN PARTIE EN AFRIQUE PAR DES ACTEURS NON ETATIQUES ; nous analysons ensuite les contenus produits par les rédactions francophones de RT et Sputnik (…) Sont donc exclues du champ de recherche les pratiques non informationnelles de l’influence russe en Afrique, comme sa diplomatie culturelle, sa présence économique ou son action
strictement militaro-sécuritaire (opérations spéciales, formation, protection de personnalités, etc.). Faute d’accès aux données, les pratiques informationnelles qui ne sont pas à l’origine de contenus immédiatement attribuables (production et/ou diffusion) à des acteurs russes – comme une campagne clandestine de désinformation en ligne – ne sont pas non plus incluses dans la deuxième partie.
« L’ÉCOSYSTÈME INFORMATIONNEL
RUSSE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
FRANCOPHONE : ACTEURS ET PRATIQUES »
Cette partie examine les deux pratiques principales de l’influence informationnelle russe en ASF : sa diplomatie publique et sa propagande médiatiques, officielles et ouvertes ; SES OPERATIONS D’INFLUENCE ET DE DESINFORMATION, NON OFFICIELLES (VOIRE PRIVEES), sous-traitées et moins directement visibles. Elle tente ce faisant de
mettre en évidence la pluralité et la relative flexibilité des acteurs impliqués, avant d’analyser par la suite leurs contenus.
« L’EMPREINTE AFRICAINE DES MÉDIAS RUSSES INTERNATIONAUX »
L’audiovisuel extérieur public russe contemporain a été édifié en deux temps. Sa première pierre, la chaîne Russia Today, a été posée en 2005 sur des fondements modestes, à l’initiative de l’administration du président Poutine. Quinze ans plus tard, le réseau RT s’est imposé comme le principal acteur de l’influence informationnelle de la Russie, avec trois chaînes d’information installées dans ses locaux moscovites (RT International, RT Arabic, RT en Español), trois chaînes locales basées à Washington (RT America), Londres (RT UK) et Paris (RT France)1, six sites d’information en ligne, une chaîne documentaire, une agence de vidéo à la demande (Ruptly) et plusieurs dizaines de comptes,
très prolifiques, sur les réseaux sociaux. Son budget considérable de 330 millions d’euros en 2020 en fait aujourd’hui l’un des grands acteurs de l’espace médiatique international. L’agence Sputnik, lancée au cœur de la crise ukrainienne à la fin de l’année 2014, est le deuxième pilier de ce dispositif. Avec
trente sites multilingues (dont le français, l’anglais, le portugais, l’arabe et l’espagnol), Sputnik est la branche internationale (…) l’agence fédérale Rossia Segodnia, fondée en décembre 2013 à la suite d’une restructuration controversée ayant abouti à la
disparition de l’agence de presse RIA Novosti et de La Voix de la Russie. Sputnik est en cela l’héritière du Sovinformburo et de Radio Moscou à l’époque soviétique : la radio internationale soviétique diffuse d’ailleurs vers l’Afrique en français et en
anglais dès la fin des années 1950 (…) RT, et dans une moindre mesure Sputnik, se présentent aujourd’hui moins comme des sources russes à l’étranger que comme des médias transnationaux « alternatifs », qui « dévoil[ent] ce dont les autres ne parlent pas » et invitent à « ose[r] questionner », selon leurs devises respectives. Cette posture se traduit par une ligne éditoriale composite, critique de « l’Occident libéral » mais compatible avec la ligne officielle russe, sympathisante du souverainisme eurosceptique et de la gauche anti-impérialiste latino-américaine, attirée par les événements de crise et les actualités sensationnalistes qui affichent des fractures sociales à l’écran. Plus qu’aucun autre instrument de diplomatie publique, ces médias véhiculent une orientation négative du soft power russe qui cherche davantage à dénigrer
l’adversaire qu’à renforcer la « puissance d’attraction » de la Russie à l’étranger (…)
« LES MEDIAS RUSSES EN ASF : UN MEILLEUR MAILLAGE DE SPUTNIK FRANCE »
Lors de la création des sites Sputnik France et RT en français en 2014 et 2015, et à plus forte raison avec le lancement de la chaîne RT France fin 2017, les audiences françaises apparaissent comme les
plus ciblées. Pourtant, leurs rédactions, soutenues par les autorités russes, affirment rapidement vouloir étendre leur portée à d’autres espaces francophones, en Belgique, en Suisse, au Québec et en Afrique, qui représentent leur réservoir d’audience le moins exploité et le plus prometteur. Ce ciblage vise d’abord le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, en coopération avec les versions arabophones de RT et Sputnik (…)
« DES AUDIENCES LIMITEES EN AFRIQUE FRANCOPHONE »
La meilleure implantation de Sputnik France se ressent autant sur la masse des contenus diffusés que sur leurs audiences en ligne. Contrairement à RT France, Sputnik France dispose d’un onglet « Afrique » sur sa page d’accueil et produit cinq à six fois plus de contenus consacrés aux actualités africaines sur son site. L’outil Television Explorer permet en outre de constater que letemps d’antenne accordé par la chaîne anglophone de RT aux actualités africaines semble proche de celui de BBC
News, mais nettement inférieur à ceux d’Al Jazeera
et de la Deutsche Welle, mieux implantés
sur le continent (…)
« LES OPÉRATIONS D’INFLUENCE RUSSES EN ASF »
Au-delà de ces pratiques les plus ouvertes de l’influence informationnelle russe, nous revenons dans cette section sur un autre versant du spectre, plus furtif, qui comprend les opérations d’influence et de désinformation menées par des acteurs russes en Afrique subsaharienne francophone. Menée à partir de sources secondaires, cette partie de l’étude met surtout en évidence L’IMPORTANCE DES ACTEURS NON ETATIQUES, DES « ENTREPRENEURS D’INFLUENCE».
Laruelle et Limonier définissent LES ENTREPRENEURS D’INFLUENCE RUSSES EN AFRIQUE comme des acteurs qui « cherchent à tirer un bénéfice du capital économique et politique qu’ils investissent tout en accompagnant le retour de l’influence russe en Afrique » (…) les entrepreneurs d’influence « agissent [aussi] comme des sous-traitants au service des intérêts russes, permettant ainsi aux autorités de maintenir un déni plausible sur l’origine de certaines activités » (« Russia’s
African Toolkit).
« EN HERITAGE : LES « MESURES ACTIVES » DU KGB EN AFRIQUE FRANCOPHONE »
Durant toute la période de la guerre froide, les « mesures actives » (aktivnye meropriatia) représentent l’une des activités phares de la Première direction générale (PGU) du KGB, en charge de l’espionnage et du renseignement extérieur (…) ces opérations constituent même, à la différence du recueil d’informations, « le cœur et l’âme du renseignement soviétique ». Les officiers du Service A de la PGU, fondé en 1966 sur une structure élargie du Département D (pour dezinformatsia), sont responsables de l’élaboration des mesures actives, selon les directives définies par le Politburo. Avec l’aval du Comité central, ces mesures sont ensuite diffusées ou mises en œuvre par la ligne PR (« renseignement politique ») des résidences du KGB à l’étranger. Des mesures actives sont délivrées au début des années 1970 dans
les Dictionnaires du renseignement et du contre-espionnage. L’entrée « mesures actives » du dictionnaire du renseignement les présente comme des « mesures opérationnelles destinées [non seulement] à exercer une influence profitable sur
les éléments les plus dignes d’intérêt de la vie politique d’un pays cible, sur sa politique étrangère, sur la résolution de problèmes internationaux, [mais aussi] à induire l’adversaire en erreur, à saper et à affaiblir ses positions, à perturber ses plans hostiles » (…) : « Affaiblir les positions politiques, militaires, économiques et idéologiques du capitalisme
[et] saper ses plans agressifs, afin de créer des conditions favorables à la réussite de la politique étrangère soviétique et d’assurer la paix et le progrès social. »
« LES CAMPAGNES CONTEMPORAINES : LE CAS DES « ENTREPRISES D’INFLUENCE » D’EVGUENI PRIGOJINE EN AFRIQUE FRANCOPHONE »
Les opérations d’influence informationnelle menées sur le continent africain par le Service du renseignement extérieur russe (SVR), héritier institutionnel de la PGU, restent à ce jour méconnues. Plusieurs entreprises d’influence menées par des acteurs russes NON ETATIQUES EN AFRIQUE ont en revanche été répertoriées
Depuis 2018. Ces initiatives externalisées, dont les autorités russes affirment régulièrement n’avoir pas connaissance, sont menées à des fins politiques ou lucratives. Elles sont souvent sponsorisées
par des hommes d’affaires russes, connus pour leur proximité avec le pouvoir. Konstantin Malofeïev est l’un d’entre eux (…) Toutefois, la paternité des opérations d’influence et de désinformation rappelant le plus les mesures actives revient
à une autre figure majeure, celle d’Evgueni Prigojine. L’homme d’affaires, qui a construit sa fortune en Russie dans l’industrie de la restauration et des cantines scolaires, est aussi le principal financeur de la SMP Wagner, du site d’information pro-pouvoir RIA FAN et de l’Internet Research Agency (IRA), l’« usine à trolls » de Saint-Pétersbourg. Depuis 2016, Prigojine, les entités
qu’il contrôle et ses associés ont fait l’objet d’une salve de sanctions ciblées de la part des États-Unis – le FBI a même émis un mandat d’arrêt contre l’oligarque – et de l’Union européenne, tant pour leur rôle dans les ingérences informationnelles de la Russie dans les élections américaines que pour les actions du groupe Wagner en Afrique. Bien qu’externalisées, les activités de Prigojine seraient conduites, selon le site d’investigation Bellingcat, en étroite coopération avec la Direction du renseignement militaire (GRU), le service de renseignement du ministère russe de la Défense. Nous nous concentrons là encore sur les ramifications informationnelles de ces entreprises en Afrique subsaharienne francophone. D’autres opérations liées à Prigojine, mais qui ne relèvent pas directement de l’influence informationnelle, ont été documentées dans la presse d’investigation russe indépendante (…)
« UNE INFILTRATION DES ECOSYSTEMES MEDIATIQUES ET MILITANTS EN ASF »
Un premier mode opératoire propre à l’influence informationnelle consiste à agir directement sur le paysage médiatique du pays ciblé. Marqué par une profonde précarité économique et des exigences déontologiques bancales, l’écosystème médiatique
centrafricain a été particulièrement touché par cette entreprise de pénétration. Dès le début de l’année 2018, parallèlement au déploiement des instructeurs et mercenaires russes dans le pays, les acteurs de l’influence informationnelle russe ont cherché à
capitaliser sur la fragilité de ce paysage médiatique pour l’instrumentaliser à leur avantage. C’est d’abord le cas de la radio, qui demeure le principal média de masse dans le pays. En novembre 2018, une nouvelle station, Radio Lengo Songo, est lancée à Bangui avec une capacité d’émission dans un rayon de cent kilomètres autour de la capitale. Selon le journaliste Saber Jendoubi, cette radio privée, promue sur les panneaux publicitaires de la ville, est entièrement financée par Lobaye Invest, la société de prospection minière à l’origine du dessin animé décrit au début de cette étude. Le site RIA FAN, étendard de l’écosystème médiatique de Prigojine,est l’un des rares sites renvoyant régulièrement vers les articles de Radio Lengo Songo. Celle-ci émet en français et en sango et se présente comme la « radio de la paix et de la réconciliation nationale ». Plusieurs journalistes locaux y ont été embauchés, et les propos des principales figures de la présence russe sur place (Vladimir Titorenko, Valeri Zakharov, Mikhaïl Chougaleï, Aleksandr Ivanov, voir infra) y sont régulièrement rapportés.
S’il est impossible d’écouter ses podcasts, son site témoigne d’une ligne éditoriale assurément alignée sur l’agenda gouvernemental, très favorable à la présence russe et ouvertement hostile à la présence française et à la mission de l’ONU en RCA, la MINUSCA. L’intonation anti-française de Radio Lengo Songo semble être montée d’un cran depuis le début du printemps 2021 : « La population se réjouit : la France va quitter la Centrafrique », titre cet article du 19 mai 2021, en précisant que les Centrafricains « organisent des manifestations gigantesques contre la présence française dans leur pays et se trouver en République centrafricaine est devenu dangereux pour tous ceux qui ont la nationalité française ». Au moment d’achever cette étude, de nombreux articles sortent sur son site pour dénoncer une enquête de RFI publiée en
mai 2021 sur les exactions du groupe Wagner en Centrafrique : la radio française y est présentée comme une « propagande néocoloniale » qui « corrompt des témoins pour jeter le discrédit sur les FACA [les Forces armées centrafricaines] et leurs alliés russes (7 mai 2021) (…)
ANALYSER L’INFLUENCE INFORMATIONNELLE RUSSE PAR SES CONTENUS : DES RÉCITS « ANTIFRANÇAIS » ET « PRORUSSES » ?
Lors de la session déjà mentionnée du sommet de Sotchi, Mikhaïl Bogdanov suggérait que « l’expansion du réseau de correspondants des médias russes, y compris dans les États africains, pourrait affecter en profondeur l’uniformité du champ informationnel mondial ». Ciblant implicitement les grandes agences de presse et médias internationaux occidentaux, mieux implantés en Afrique, Bogdanov jugeait cet espace « rempli d’informations unilatérales, pas toujours objectives et parfois hostiles à la Russie ». Cette approche, conforme à la représentation conflictuelle de l’espace informationnel qui domine au sein de l’appareil d’État russe, pourrait répondre, par un effet de miroir, à celle énoncée à quelques semaines d’intervalle par le président français à Jeune Afrique (…) la critique de l’interventionnisme extérieur des puissances occidentales, à commencer par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, est un répertoire privilégié des médias russes internationaux. Il était d’ailleurs largement exploité par la propagande soviétique (…)
« DES CONTENUS DISPARATES SUR LA PRESENCE FRANÇAISE : LA COUVERTURE DE L’OPERATION BARKHANE (2018-2020) »
L’opération Barkhane est l’une des manifestations les plus saillantes de la présence contemporaine de la France en Afrique subsaharienne (…) Au Sahel, l’opération Barkhane semble cristalliser les mécontentements et l’hostilité à l’égard de la présence française. L’édition 2020 du Mali-mètres de la Friedrich Ebert Stiftung révélait que 79 % des Maliens se disaient « insatisfaits » du travail de Barkhane en 2019, alors qu’ils n’étaient que 44 % en 2018 ; en août 2014, au moment du lancement de l’opération, seuls 23,4 % des sondés n’avaient « pas confiance » en Barkhane. Les reproches émis en 2019 sont les suivantes : Barkhane serait « complice des groupes armés » (57,7 %) ; elle « ne protéger[ait] pas les populations contre la violence des groupes armés et les terroristes » (53,5 %) ; elle « se protéger[ait] elle-même » (24,5 %) ; elle « sout[iendrait] la partition du pays » (21,1 %). L’un des mouvements les plus ostensiblement anti-Barkhane, le Groupement des patriotes maliens (GPM), en appelle depuis 2019 à une coopération accrue avec Moscou pour remplacer Barkhane, au nom du « partenariat historique » entre la Russie et le Mali depuis l’indépendance. Plusieurs manifestations hostiles à la France et favorables à la Russie ont depuis été organisées à Bamako, dont celle d’octobre 2019 à l’initiative du GPM, laissant planer le doute sur une influence accrue de Moscou au Mali et sur une prise de contact de ses agents avec des activistes locaux. La plupart des spécialistes du Sahel s’accorde sur le consta que la montée d’un « sentiment antifrançais » dans la région est un phénomène très largement endogène. Les éléments exogènes, tels que les opérations russes et turques, interviendraient pour instrumentaliser, détourner, voire amplifier ces représentations négatives, largement héritées de la période coloniale. Ce sentiment correspond du reste à une critique de la politique africaine de la France et des liens entretenus par Paris avec les élites africaines, plutôt qu’à une « francophobie » de principe (…)
« CONCLUSION
ARTICULER SOUVERAINISME ET PANAFRICANISME ? »
L’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone s’appuie sur un écosystème hétérogène. Son dispositif est constitué d’acteurs publics et non étatiques, officiels, officieux ou confidentiels, qui agissent directement ou par
délégation, le plus souvent indépendamment et sans synchronisation. Ces acteurs poursuivent aussi bien des objectifs de long terme, en accompagnant le réengagement de la Russie sur le continent africain, qu’ils sont mus par des motifs ponctuels et
opportunistes, adaptés aux contextes locaux ou déclinés en fonction de la conjoncture.
Parmi les pratiques du spectre de l’influence informationnelle, cette étude s’est concentrée spécifiquement sur la diplomatie publique médiatique et sur les opérations d’influence menées en ligne ou sur le terrain, dont certaines rappellent, par leurs modes opératoires, les « mesures actives » conduites par le KGB en Afrique. Malgré des audiences directes encore limitées, l’empreinte des canaux francophones des médias russes internationaux croît progressivement en ASF, aiguillonnée par de multiples sites qui diffusent leurs contenus par opportunisme ou affinités idéologiques.
La diversité de leurs interlocuteurs et le faible niveau de réactions face à leur implantation témoignent
du fait que RT et Sputnik n’y sont pas perçus, contrairement à la France, comme des médias controversés. Enfin, si leurs sites sont majoritairement consultés depuis la France, le Mali et le Cameroun semblent se détacher par leurs viviers de visiteurs. Plusieurs « entreprises d’influence » – campagnes de désinformation en ligne, création de médias, manipulation de journalistes locaux – ont été mises en œuvre depuis 2018 à l’initiative des réseaux de l’homme d’affaires Evgueni Prigojine. Parmi les pays d’Afrique francophone, la République centrafricaine est
aujourd’hui le principal laboratoire et espace de projection de ces opérations, qui devraient être dupliquées dans d’autres pays de la région. Enfin, au-delà de leur disparité, ces actions témoignent
d’une forte plasticité des acteurs de l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne. »
#2-
« BOITE A OUTILS AFRICAINE DE LA RUSSIE : INFLUENCE NUMERIQUE ET ENTREPRENEURS D’INFLUENCE » (EXTRAITS)
(Kevin Limonier et MarleneLaruelle)
Aujourd’hui, l’influence russe sur le continent africain est encore anecdotique par rapport à la République populaire de Chine, aux États-Unis et aux anciennes puissances coloniales, comme la France. Pourtant, Moscou s’est engagé à se réaffirmer comme un pôle d’influence alternatif à la Chine et aux pays occidentaux aux yeux de certaines élites africaines. Cet article analyse deux composantes clés de la boîte à outils africaine de la Russie : ses médias tels que RT et Sputnik, qui ont réussi à s’imposer dans le paysage médiatique africain, et ses entrepreneurs d’influence, en charge de campagnes d’influence de différentes envergures. L’article soutient que le succès médiatique de la Russie repose davantage sur l’appropriation de son contenu informationnel par des acteurs africains ayant leurs propres agendas politiques que sur Moscou pour convaincre le public africain de la légitimité de sa politique étrangère ou de son modèle politique, et que les entrepreneurs influents peuvent jouer un rôle utile , mais limité, pour tester de nouveaux paramètres d’influence.
(this article is part of a two-year project with Erica Marat, Russia and China as Service Providers for Illiberal Governance, funded by the U.S. Department of Defense under the DECUR partnership of the Minerva Research Initiative
Une caractéristique notable des activités de ces entrepreneurs d’influence ces dernières années est qu’elles ont été menées en grande partie en ligne. Les entrepreneurs d’influence créent des sites internet, organisent des campagnes d’influence sur les réseaux sociaux, etc., pour démultiplier leur capital économique ou politique vis-à-vis des pouvoirs publics. Ces activités laissent derrière elles des traces numériques appelées métadonnées qui sont librement accessibles et peuvent être utilisées pour documenter en détail certaines de leurs tactiques. Les techniques utilisées pour récolter, déduire et analyser ces données sont connues sous le nom d’Open-Source Intelligence (OSINT).
Une analyse des données techniques documentant les activités en ligne des entrepreneurs d’influence nous permet de démystifier plusieurs affirmations répandues, telles que l’existence de stratégies d’influence centralisées, détaillées et bien huilées à l’étranger. Au contraire, il montre que la plupart de ces initiatives suivent les agendas spécifiques de leurs promoteurs et se coordonnent à des degrés divers avec les institutions officielles de l’État. L’article présente des informations détaillées sur les réseaux mondiaux d’influence que la Russie a développés ces dernières années et décrit les limites inhérentes aux efforts de Moscou.
Pour explorer notre grille de lecture, nous regardons les rôles joués par plusieurs entrepreneurs d’influence et leurs traces numériques. Nous divisons ces entrepreneurs en trois grandes catégories en fonction de leur degré de proximité avec les autorités : les magnats (en regardant les études de cas d’Evgueni Prigojine et de Konstantin Malofeev), les serveurs du temps (en regardant Alexander Yonov et Alexander Malkevich) et LES PIONNIERS DE PREMIERE LIGNE. (REGARDANT LE BELGE LUC MICHEL). Nous concluons en expliquant qu’en tant que « grande puissance pauvre », la « diplomatie grise » lancée par des entrepreneurs privés semble être le moyen le plus rentable pour le régime russe d’essayer de reprendre son mot à dire dans certains secteurs des affaires internationales.
L’incroyable diversité des acteurs qui participent aux actions de la Russie à l’étranger est régulièrement soulignée. Un rapport européen sur la désinformation russe, par exemple, mentionne la notion d' »entrepreneurs de la polarisation » – sans toutefois s’étendre sur ce point (Bentzen 2018). Plusieurs journalistes ont observé le rôle des « pigistes » dans la soi-disant guerre hybride de la Russie (Stelzenmüller 2017). Mark Galeotti a inventé le terme « adhocrates » pour décrire les acteurs du régime Poutine largement désinstitutionnalisé, qui utilise une chaîne de commandement complexe pour créer un déni plausible (voir Kim 2017). Cependant, il n’y a pas encore eu d’analyse scientifique solide du phénomène. Cet article espère commencer à combler cette lacune en introduisant LE CONCEPT D’ENTREPRENEURS D’INFLUENCE.
La notion d’entrepreneur d’influence, telle qu’élaborée dans cet article, est fondée sur un vaste corpus de littérature qui a documenté les rouages et les logiques internes du pouvoir russe au cours des trois dernières décennies. Au cours des turbulentes années 1990, « l’entrepreneuriat violent » a dominé la transition vers une économie de marché, incarnée par les fameux « voleurs dans la loi » (vory v zakone, grands patrons de la mafia avec des patrons à l’intérieur du système politique et des forces de l’ordre) (Volkov 2002 ; Galeotti 2018). Cette culture de l’entrepreneuriat violent semble s’être exportée à l’étranger et se développe désormais au niveau transnational.
Pour appréhender le fonctionnement de ces réseaux d’influence, il est nécessaire de distinguer plusieurs catégories d’entrepreneurs d’influence. Certains font partie intégrante de la diplomatie publique russe, avec un statut institutionnel reconnu dans l’organigramme de l’État russe (…) A cette catégorie peuvent s’ajouter les principaux oligarques qui se coordonnent étroitement avec le Kremlin pour financer la promotion de la Russie à l’étranger (…)
Les magnats : servir les intérêts de la Russie à l’étranger
Dans la première catégorie d’entrepreneurs d’influence qui naviguent dans le monde de la « diplomatie grise », on trouve ceux que l’on appelle les tycoons : des personnalités dotées d’un solide réseau de mécènes qui sont déjà des « initiés » du système à bien des égards mais qui n’ont pas d’autorité officielle, reconnue. , statut institutionnalisé. Ils utilisent leur propre capital financier pour lancer des opérations d’influence à l’étranger, puis utilisent ces opérations d’influence pour renforcer leur légitimité chez eux. Nous nous concentrons sur les cas des tristement célèbres Yevgeny Prigozhin et Konstantin Malofeev (…) Tous deux espèrent avoir construit suffisamment de soutien au sein du régime pour pouvoir capitaliser sur leurs succès à l’étranger et se créer une nouvelle marque politique qui servirait la niche idéologique du nationalisme à la « droite » du parti centriste Russie unie.
« L’EMPIRE MEDIATIQUE D’EVGUENI PRIGOJINE ET SES RAMIFICATIONS INCONNUES »
Yevgeny Prigozhin (né en 1961) est une figure bien connue de l’appareil d’influence russe. Il est entre autres l’un des personnages clés de la célèbre société militaire privée russe (PMC) Wagner, qui a des mercenaires sur le terrain dans des pays comme la Libye, la République centrafricaine, le Mozambique et le Venezuela (Vasilyeva 2017 ; Marten 2019b, 2020 ; Rondeaux 2019 ; Bellingcat 2020 ; Weiss et Vaux 2020). Prigozhin est bien connu du grand public occidental, ayant été nommé fondateur de l’Agence de recherche Internet (IRA) dans un acte d’accusation du FBI pour l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine de 2016 (Linvill et al. 2019).
Surnommé « le chef de Poutine » par les médias parce que ses activités commerciales étaient centrées sur la restauration, Prigozhin est au centre d’une vaste galaxie d’intérêts documentée par plusieurs enquêtes. Ses entreprises et ses activités ont laissé de nombreuses traces, qui ont été suivies par certains journalistes occidentaux et russes pendant des années, construisant un réseau d’intérêts très complexe (…)
LUC MICHEL/
« LES PIONNIERS LOCAUX : OUVRIR DE NOUVELLES LIGNES DE FRONT »
Dans un troisième cercle concentrique se trouvent des acteurs locaux qui se joignent aux actions de la Russie à l’étranger par conviction idéologique et/ou pour des motifs matérialistes et opportunistes. Ces acteurs locaux ont leurs propres agendas à poursuivre en termes de sécurisation de leurs propres réseaux et légitimité, et interagissent de manière plus distante avec les institutions ou représentants russes. Nous prenons le Belge Luc Michel comme étude de cas de ces « pionniers locaux ».
Michel est impliqué dans la sphère nationaliste-révolutionnaire depuis la fin de son adolescence, inspiré par Jean-François Thiriart (1922-1992), l’idéologue d’une troisième vague paneuropéenne qui a promu l’idée d’un « Empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin » (Thiriart 1984) (…) Michel a fondé le Parti communautaire national-européen, l’envisageant comme un mouvement paneuropéen qui, en unissant l’extrême droite et l’extrême gauche, libérerait l’Europe du « colonialisme yankee » (Nation-Europe 2005). Considérant la Russie comme le principal opposant à l’impérialisme américain, il avait noué des contacts avec des idéologues d’extrême droite russes comme Alexander Dugin au début des années 1990, mais il a également défendu d’autres personnalités de la « résistance » comme Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi.
Au milieu des années 2000, Michel a réussi à institutionnaliser son statut par le biais de l’Organisation de surveillance des élections de la Communauté des États indépendants (CIS-EMO), une organisation pionnière dans la surveillance des élections controversées dans l’espace post-soviétique. Il a ensuite créé sa propre organisation de surveillance électorale, l’Observatoire eurasien de la démocratie et des élections (EODE), qui a validé les élections sécessionnistes et les référendums organisés en Transnistrie, en Abkhazie, au Haut-Karabakh, en Crimée, dans le Donbass, etc., et dispose de bureaux à Moscou. , Paris, Bruxelles, Sotchi et Chișinău.
MICHEL S’INTERESSE ENSUITE A L’AFRIQUE EN DEVENANT LA FIGURE DE PROUE DE LA CHAINE DE TELEVISION AFRIQUE MEDIA (afriquemedia.tv).
Basée au Cameroun, où son nom de domaine a été enregistré en 2011, la chaîne s’est baptisée « CNN panafricaine » et est suivie par près de 260 000 personnes sur Facebook (…) Afrique Media a produit de vastes quantités de contenus condamnant les « influences étrangères » présentées comme désireuses de « détruire l’Afrique ». Dans l’ensemble, la ligne éditoriale du journal peut être décrite comme à la limite de la théorie du complot avec une patine de panafricanisme radical qui blâme les Occidentaux – en particulier les Français – pour tous les problèmes auxquels le continent africain est confronté.
Michel semble avoir endossé Afrique Média dès 2014. Cette année-là, il annonce sur son blog que la Russie a « sauvé Afrique Média des fourberies de Canal+ » (Michel 2014) dans une querelle commerciale sur l’attribution des bandes de fréquences satellitaires. Sans entrer dans le détail de cette soi-disant mission de sauvetage ni de son rôle dans celle-ci, Michel se félicitait d’avoir apparemment, « avec l’aide des Russes », empêché l’arrêt des émissions de la chaîne sur une fréquence appartenant à Canal+. Depuis, Michel a continuellement offert son soutien à ce média panafricain. En 2016-2017, il organise une levée de fonds pour financer la construction de nouveaux bureaux pour la chaîne, démarche qu’il réitère en 2019 pour financer l’ouverture d’un bureau Afrique Média à Bruxelles (Leetchi s.d.). En plus de son soutien financier, Michel apparaît souvent sur la chaîne, où il se présente comme un géopoliticien et spécialiste de l’Afrique. En avril 2019, il a rencontré la Première Dame du Tchad à Ndjamena, se présentant comme le principal présentateur de télévision d’Afrique Media (Alwihda Info 2019).
Afrique Media n’est pas la seule plateforme liée à Michel. L’aventurier belge gère également un vaste réseau de sites Web destinés au public africain. Il gère le site Internet La voix de la Libye ainsi que plusieurs chaînes de télévision en ligne au Tchad, au Cameroun et au Bénin. La plupart de ces sites Web sont enregistrés au nom de Fabrice Béaur, un compatriote belge également membre du Parti communautaire national-européen (WHOXY Fabrice s.d.). Béaur, un militant politique qui a écrit pour Sputnik News et le média iranien PressTV, semble avoir fourni un soutien technique à Michel en créant et en organisant son réseau de sites Web (WHOXY Fabrice s.d.).
Michel est typique des premiers entrepreneurs d’influence : il a investi des ressources – du temps, de l’argent et des réseaux – pour promouvoir la vision russe du continent africain sur différentes plateformes. Il est très peu probable que Michel ait agi à la demande de Moscou, même si lui et Prigozhin peuvent être connectés via AFRIC (Weiss et Vaux 2020). Pourtant, lui et Afrique Media sont de facto des chambres d’écho pour les récits russes, car ces récits sont alignés sur leurs propres agendas politiques. Ce type d’entrepreneur pionnier voit donc la Russie comme une ressource à déployer pour mener à bien ses propres projets.
* VOIR :
Esquisse de la guerre hybride.
Mon action en tant qu’ ‘entrepreneur géopolitique indépendant’
Par Luc Michel
https://www.palestine-solidarite.fr/esquisse-de-la-guerre-hybride-ix-mon-action-en-tant-qu-entrepreneur-independant/
* The Belgian (Flemish) daily newspaper De Morgen already wrote in December 2022: “Michel will now act as a geopolitical entrepreneur to enlarge the Russian sphere of influence in Africa: “a group of independent entrepreneurs, we have invented the concept of hybrid warfare. We work with Russia, but we don’t pay for security services. A hybrid war feeds on different ways: military, diplomatic and communication. I do the latter. “And then there is the Belgian, the activist Luc Michel, with whom it all started. He, together with the ideologue Jean Thiriart (…) with the organization of the elections, shaped the instruments of the reconquest of the Soviet empire and created a space, from Lisbon to Vladivostok”. Michel is delighted with the results of the last referendums in the People’s Republics of Luhansk, Donetsk,
* Lire ausi :
Esquisse de la guerre hybride. L’action de Luc Michel en tant qu’ ‘entrepreneur géopolitique indépendant’
https://www.palestine-solidarite.fr/esquisse-de-la-guerre-hybride-ix-mon-action-en-tant-qu-entrepreneur-independant/
# ЕВРАЗИЙСКИЙ СОВЕТ ЗА ДЕМОКРАТИЮ И ВЫБОРЫ (ЕСДВ)/
EURASIAN OBSERVATORY FOR DEMOCRACY & ELECTIONS (EODE):
http://www.eode.org/
https://www.facebook.com/groups/EODE.Eurasia.Africa/