ALMA – LE VENT SE LÈVE
Editeur Gallimard
de Timothée de Fombelle
illustrations de François Place
388 pages.

Timothée de Fombelle raconte dans « Alma » le destin d’une jeune Africaine au temps de l’esclavage. Son éditeur anglo-américain refuse pour la première fois de le publier…

REVUE DE PRESSE /
« IL FAUT QU’UN HOMME BLANC PUISSE ENDOSSER LE RÔLE D’UNE PETITE FILLE NOIRE »
(ENTRETIEN AVEC L’AUTEUR, ‘LE POINT’, PARIS)

Plusieurs centaines de milliers d’enfants, partout dans le monde, ont dévoré ses livres. Des merveilleuses aventures de son héros miniature Tobie Lolness à la saga Vango ou au Livre de Perle, Timothée de Fombelle a signé quelques-uns des ouvrages les plus beaux et les plus riches parus depuis quinze ans au rayon jeunesse, de ceux dont la poésie et la force habitent pour longtemps leurs lecteurs.

Son dernier ouvrage, Alma, premier tome d’une ambitieuse saga prévue sur trois volumes, raconte le destin d’une jeune Africaine au temps de l’esclavage et évoque le combat de l’abolition. Une grande réussite. Mais, contrairement à tous ses précédents ouvrages, il ne sera pas publié en Angleterre ni aux États-Unis. En effet, Timothée de Fombelle est un merveilleux écrivain, mais il est blanc, ce qui, dans notre époque devenue folle, lui interdit visiblement d’aborder le sujet de l’esclavage.

Le Point : Pour la première fois, alors que votre œuvre est traduite dans le monde entier, votre dernier livre ne sortira sans doute pas aux États-Unis ni en Angleterre…

Timothée de Fombelle : Chez Walker Books, mon éditeur anglais qui possède une filiale aux États-Unis, on sait que je travaille depuis des années sur le sujet de la traite négrière, et on m’a dès le départ mis en garde. Sujet passionnant, mais trop délicat, m’a-t-on dit : quand on est blanc, donc du côté de ceux qui ont exploité les Noirs, on ne peut pas décemment s’approprier l’histoire de l’esclavage. Ils ont aimé le livre, mais, en effet, et pour la première fois, ils ne le publieront sans doute pas (…)

Sachant le procès probable en appropriation culturelle auquel vous vous exposiez, du moins dans les pays anglo-saxons, n’avez-vous pas été tenté de renoncer ?

J’avais connaissance de ces débats, mais j’ai essayé de ne pas y être trop attentif pour ne pas m’autocensurer. Le bon côté tout de même de ces procès en légitimité est que l’on est contraint de redoubler de vigilance. Je suis un homme blanc du XXe, je ne suis pas historien, alors pour raconter une petite jeune fille noire du XIXe, je me suis vraiment beaucoup documenté, j’ai consulté des archives, des journaux de bord, j’ai beaucoup lu sur l’Afrique ancienne et j’ai voyagé. Je procède ainsi pour tous mes livres, mais pour Alma, cela représente des années de travail. Il fallait que je sois digne de mon sujet. À part quelques grands romans américains, peu d’ouvrages de fiction évoquent l’esclavage, et ils racontent toujours la traite négrière du point de vue de ceux qui l’organisaient, « du pont supérieur », ils démarrent d’ailleurs bien souvent en Europe. Je tenais pour ma part à ce que l’histoire démarre en Afrique, du côté du triangle que l’on n’évoque jamais…

Pourquoi vous être intéressé à ce sujet ?

J’ai habité à Abidjan en famille, et mes parents nous ont un jour emmenés découvrir en voiture le chapelet de forts qui jalonnent la côte ouest de l’Afrique. Un voyage de quinze jours qui m’a beaucoup marqué. Ces forteresses étaient le point de jonction entre les caravanes qui arrivaient de l’intérieur et les organisateurs blancs qui examinaient là la « marchandise » avant de l’embarquer. J’avais treize ans, et ces forteresses désertes, à l’époque complètement abandonnées par la mémoire collective, m’ont donné la conscience presque physique de toutes les vies qui avaient transité par là. J’avais le sentiment que ces gens en étaient partis la veille, c’était très réel, très concret, et le nombre de forts est tel le long de la côte qu’on réalise combien la traite était organisée de manière quasiment industrielle… Ce fut un véritable choc. Pourtant, dans le collège franco-ivoirien où j’étais élève, on ne parlait pas du tout de l’esclavage. Aujourd’hui encore, c’est un sujet très vite expédié dans les programmes scolaires.

Ce refus des Anglo-Saxons de publier votre livre, le comprenez-vous ?

Je suis un raconteur d’histoires, blanc. Ce biais existe et je sais d’où je viens. Mais qu’un homme blanc puisse endosser le rôle d’une petite fille noire, qu’un écrivain puisse raconter l’histoire de la traite négrière du point de vue des esclaves même si cette histoire n’est évidemment pas la sienne, c’est pour moi la définition même de la littérature… Le plus absurde, c’est tout de même que rien ou presque n’a jamais été écrit sur l’esclavage en littérature jeunesse, qu’avec Alma, de jeunes lecteurs vont enfin avoir accès, sur trois volumes de 400 pages très documentées, à ce sujet qu’ils connaissent peu. Et il vaudrait mieux priver des enfants de cette connaissance plutôt que d’admettre qu’un Blanc soit l’auteur d’un tel livre ? Voilà ce que ce refus de publication signifie : mieux vaut que les enfants n’aient pas accès à ce livre, tant pis s’ils continuent d’ignorer la réalité de l’esclavage. C’est le message que j’essaie de faire passer modestement à Walker Books. Je ne peux pas croire qu’on préfère qu’un livre n’existe pas…

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